Mardi, les sénateurs ont débattu du cannabis à visée thérapeutique. Si la droite s’est montrée plus réticente que les autres groupes, une grande majorité d’élus s’accordent sur le fond. Le secrétaire d’État Adrien Taquet a confirmé qu’une expérimentation aurait lieu.
Mardi après-midi, dans un hémicycle clairsemé, Esther Benbassa a introduit le débat sur le cannabis thérapeutique comme enjeu de santé publique.
La sénatrice EELV du Val-de-Marne a commencé par rappeler les grands enjeux liés au cannabis thérapeutique. Entre 300 000 et 1 million de patients pourraient être concernés, et plus de 82 % des Français sont favorables à une utilisation dans un cadre médical. « Il n’y a aucune raison d’exclure une molécule, sous prétexte que c’est du cannabis, alors qu’elle peut être intéressante », a-t-elle expliqué.
Esther Benbassa a souligné les avancées dans le monde à propos de cette question (21 pays en Europe ont légalisé le cannabis thérapeutique). Le comité de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) se réunit jusqu’à juin afin d’étudier les modalités de mises à disposition dans le cadre de la phase expérimentale du cannabis en France.
De nombreux sénateurs favorables
Plusieurs sénateurs se sont montrés favorables à la légalisation du cannabis à visée thérapeutique, à l’image de Laurence Cohen, qui représentait le groupe CRCE. « Il faut en finir avec une certaine hypocrisie ou frilosité », a dénoncé la sénatrice communiste. Pour elle, « il faut que le gouvernement s’appuie sur les avis scientifiques et les expériences menées à l’étranger ». Laurence Cohen a par ailleurs évoqué, comme Esther Benbassa dans son introduction, la question de l’accessibilité au traitement et donc le remboursement du cannabis à visée thérapeutique par la sécurité sociale.
Laurence Rossignol, qui représentait le groupe socialiste, a aussi apporté son soutien à la démarche pour un accès facilité au cannabis thérapeutique, en s’appuyant sur deux témoignages de mères de famille qui n’ont trouvé que le cannabis pour supporter la douleur du cancer et de la chimiothérapie. Deux femmes qui ont demandé à leurs enfants de leur fournir du cannabis, les transformant donc en délinquantes.
Joël Labbé, ancien membre d‘EELV et aujourd’hui sénateur RDSE, a remercié Esther Benbassa et le groupe CRCE d’avoir organisé un tel débat. « Il faut que la France se dirige vers la légalisation. Les annonces d’Agnès Buzyn sont très encourageantes », a-t-il déclaré. « Si la France bouge sur le cannabis thérapeutique, cette plante au statut compliqué du fait de son usage récréatif et psychotrope, cela pourrait ouvrir la voie à une plus large place aux plantes médicinales en santé en général. Car de nombreuses autres plantes ont un véritable intérêt », a-t-il ajouté.
Il a annoncé à la fin de son intervention qu’il déposerait trois amendements qui vont dans ce sens lors de l’étude du PJL Santé qui commence la semaine prochaine.
Le cannabis thérapeutique : un « cheval de Troie » ?
Néanmoins, si la gauche et le groupe RDSE sont favorables à une légalisation, la droite s’est montrée plus restrictive. Chantal Deseyne, sénatrice LR, n’a pas manqué de souligner que le cannabis « n’est pas une substance anodine. C’est une vraie drogue ». Un argument jugé irrecevable par Laurence Rossignol : « C’est le cas de toutes les substances médicamenteuses. La morphine est une drogue. Cette approche du médicament par ce biais ne me paraît pas pertinente ».
Si elle reconnaît l’enjeu de sécurité publique, l’élue LR alerte. Le cannabis thérapeutique pourrait être selon elle un « cheval de Troie » vers la légalisation du cannabis récréatif. « Le cannabis ne devrait être prescrit qu’en dernier recours. […] J’appelle à la plus grande prudence », explique Chantal Deseyne.
Elle a été rejointe par Pascale Gruny, qui a également ajouté qu’il « est trop tôt pour affirmer que les bénéfices potentiels du cannabis dépassent les risques qu’il fait encourir à ceux qui en consomment. Il est temps que la recherche approfondisse ses études pour établir la réalité des faits ».
Le centre, par les voix de Jocelyne Guidez et Daniel Chasseing, est lui aussi favorable à une éventuelle légalisation du cannabis thérapeutique, mais sous certaines conditions. Les deux ont d’ailleurs bien fait la distinction avec le cannabis récréatif (qu’ils combattent). « Le débat mérite d’être apaisé », a souligné Jocelyne Guidez. L’élue trouve la recommandation du conseil de l’ANSM de mettre en place une expérimentation à l’échelle nationale « intéressante ».
Daniel Chasseing, sénateur Les Indépendants de la Corrèze, est sur la même ligne. « Une expérimentation devrait prochainement voir le jour en France pour juger de la pertinence du cannabis thérapeutique. J’y suis favorable. […] Cette étude pourra à mon sens apporter des précisions dans le traitement de la douleur », a-t-il expliqué, tout en rappelant qu’une prescription large pourrait évoluer à la légalisation de l’usage récréatif.
« Quelle que soit notre opinion sur le sujet, il y a matière à s’interroger pour l’avenir […] La question du cannabis thérapeutique mérite d’être posée », expliquait Jocelyne Guidez en conclusion de son intervention.
Une priorité
Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé, a répondu à la fin du débat aux sénateurs. Il a fait comme plusieurs élus de la Haute chambre une distinction dans son introduction entre le cannabis thérapeutique et le cannabis récréatif.
« Les exemples à l’étranger nous guideront pour établir les modalités d’usage thérapeutique du cannabis dans notre pays adapté aux besoins de notre population », a-t-il expliqué, ajoutant que permettre l’usage thérapeutique du cannabis était « une priorité » de la ministre de la Santé.
Adrien Taquet a confirmé que l’expérimentation annoncée aurait bien lieu, et qu’il « appartiendra au gouvernement de se prononcer sur la base de cet avis ».
Également évoquées, les conséquences économiques qui pourraient être liées à la légalisation du cannabis thérapeutique. Dans l’hémicycle, il y avait unanimité. « La France pourrait être leader dans la filière chanvre », expliquait Joël Labbé.
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