Lorsqu’une pandémie survient, parmi les questions qu’on se pose dès le départ il y a l’impact qu’elle aura sur la santé publique, l’économie et la société. D’autres questions clés touchent les priorités de réponse des gouvernements et des ménages.
L’alimentation est au cœur de ces deux séries de questions. D’une part, l’accès à une alimentation suffisante et nutritive est menacé. D’autre part, se concentrer sur la nourriture offre des options prometteuses de réponse à la pandémie.
Les rapports de divers pays soulignent les préoccupations concernant l’impact de la Covid-19 et des mesures de riposte à la pandémie sur les approvisionnements alimentaires, que ce soit en raison de pénuries, de hausse des prix ou d’un manque de fonds. Même dans les pays riches, l’inquiétude face à d’éventuelles pénuries a conduit à une accumulation de stocks, tandis que les pertes d’emplois à grande échelle laissent de nombreuses personnes inquiètes quant à leur capacité à se nourrir.
Dans certains pays en développement, le spectre de la faim se profile. En juillet 2020, Oxfam a rapporté que la Covid-19 aggravait la faim dans les zones à risque actuelles, tout en créant de nouveaux « hotspots ». Le rapport a également suggéré que la pandémie pourrait porter le « coup de grâce » à beaucoup de gens. Ceux engagés dans l’économie informelle sont parmi les plus touchés, en particulier les personnes vivant dans les zones urbaines qui consacrent la majeure partie de leur revenu quotidien à l’achat de nourriture.
Un rapport récent du Programme alimentaire mondial (PAM) a suggéré que la Covid-19 aggrave l’insécurité alimentaire mondiale, car l’impact économique de la pandémie s’ajoute aux problèmes de sécurité alimentaire préexistants. Selon les estimations, 272 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire en raison des effets aggravants de la pandémie. Dans un entretien ultérieur, le directeur du PAM a fait part de ses craintes que des millions de personnes « marchent vers la famine » citant la pandémie comme une cause clé.
Au cours de ces dernières années, nous avons mené des recherches dans les pays du sud sur la sécurité alimentaire, l’agriculture, la santé publique et l’environnement. Cette expérience nous amène à croire que se concentrer sur l’alimentation permettrait de réduire les risques encourus par les ménages et les pays, même dans une situation de pandémie où l’accès à la nourriture est clairement menacé.
Changement alimentaire comme option de réponse
Les changements alimentaires pourraient offrir des possibilités d’améliorer la capacité des gens à faire face à la Covid-19, car le potentiel de la nutrition à renforcer la résistance immunitaire aux virus est bien établi. Une revue d’essais cliniques a souligné le potentiel de la nutrition pour prévenir ou gérer les infections virales et a conseillé de l’utiliser pour limiter l’impact de la Covid-19. Un autre nouvel article de synthèse a fait écho à cet appel.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a cherché à exploiter ce potentiel en publiant des directives diététiques pour la pandémie de Covid-19. Celles-ci soulignent l’importance de manger certains aliments, tels que fruits et légumes frais, céréales complètes, haricots, poissons et graisses insaturées. Elles recommandent également de réduire la consommation d’autres aliments, tels que les aliments transformés, le sel, le sucre, et les graisses saturées comme celles que l’on trouve dans les viandes grasses ou le beurre.
Il y a deux ans, la Commission Lancet– un groupe d’experts de haut niveau venant de 16 pays – a recommandé un régime similaire qu’elle a appelé le « régime sain de référence ».
Ce régime a été conçu sur la base d’une analyse rigoureuse des preuves disponibles et comme moyen de résoudre les problèmes actuels de mauvaise nutrition et de production agricole non durable. Cette analyse a suggéré que des changements dans le régime alimentaire et la production pourraient créer des résultats « gagnant-gagnant » pour la santé humaine et planétaire.
Les changements alimentaires suggérés par l’OMS et la Commission Lancet exigeraient des changements majeurs dans les habitudes alimentaires dans la plupart des pays, soulevant la question de l’accessibilité de leurs aliments cibles. Fait inquiétant, une étude sur cette question suggère qu’un tel régime pourrait être inabordable pour une grande partie de la population pauvre du monde. Une solution potentielle serait d’améliorer l’accès à une alimentation saine en favorisant la production locale des aliments cibles.
Repenser les systèmes agricoles
Covid-19 crée une occasion de repenser les systèmes agricoles pour fournir à la fois une gamme d’aliments sains et une production résiliente et durable. La pandémie laisse place à de tels changements, entre les dépenses d’urgence qu’elle nécessite et la reconnaissance qu’elle apporte au besoin de changement.
Les changements susceptibles de contribuer à la fois à la santé et à la durabilité comprennent des systèmes agricoles diversifiés et intégrés aussi bien qu’ une utilisation réduite des produits agrochimiques. Les gouvernements pourraient encourager un tel changement à travers des subventions intelligentes pour orienter la production vers des pratiques durables et des aliments sains. Cela pourrait également aider à garantir que ces aliments soient disponibles et abordables.
Une approche prometteuse est la tendance croissante de production alimentaire dans les zones urbaines et semi-urbaines en tant que stratégie d’adaptation. Cela s’est avéré avoir d’énormes avantages potentiels en tant que source de nourriture pour les communautés touchées par la pandémie, tout en apportant également d’autres avantages importants tels que la création d’emplois pour les pauvres et la réduction des kilomètres alimentaires.
La politique peut créer un environnement propice à la diffusion de telles pratiques.
Certaines questions pertinentes sur la manière dont les aliments sont produits ne sont pas abordées dans les conseils de l’OMS ou de la Commission Lancet. Celles-ci incluent :
(a) Les aliments produits à l’aide de technologies telles que les organismes génétiquement modifiés et les hormones de croissance présentent-ils des risques pour la santé ?
(b) Les aliments biologiques offrent-ils des alternatives plus saines ?
(c) Des pratiques de production plus naturelles promettent-elles plus de durabilité et une plus grande résilience au changement climatique ?
Ces questions méritent une plus grande attention, surtout à la lumière des preuves croissantes des effets néfastes de l’agriculture conventionnelle intensive, par exemple sur les populations d’insectes.
La nourriture et la résilience aux pandémies
L’autorisation formelle de plusieurs vaccins a fait naître l’espoir que la pandémie de Covid-19 puisse être arrêtée. Pourtant, le processus de vaccination prendra du temps. Notamment, le chef de l’agence humanitaire des Nations unies a prédit que divers pays pauvres ne feraient pas de progrès majeurs en matière de vaccination avant l’an 2022. Parallèlement, l’émergence récente de variants mutants soulève des questions difficiles, notamment de savoir si l’efficacité des vaccins pourrait être compromise.
Compte tenu de cette réalité, un bon fonctionnement du système immunitaire est essentiel. Les politiques favorisant une alimentation saine sont donc une priorité. Pour l’instant, cependant, l’insécurité alimentaire reste tragiquement un problème pour beaucoup, et l’accès à des aliments sains est un problème particulier. Des programmes visant à favoriser la production locale d’aliments nutritifs sont donc également nécessaires. Toute initiative sur l’alimentation ou la production locale pourrait avoir une pertinence au-delà de la pandémie de Covid-19 en renforçant la santé et la résilience des communautés.
De telles mesures seraient particulièrement pertinentes pour l’Afrique subsaharienne, où l’insécurité alimentaire reste une menace majeure, les cas de Covid-19 continuent d’augmenter et l’accès aux soins de santé est limité.
L’amélioration de l’alimentation et la production locale représentent des options de réponses prometteuses à la pandémie de Covid-19. Les données disponibles suggèrent que ces mesures pourraient améliorer la santé et le bien-être des populations tout en renforçant leur résilience aux pandémies. Ces mesures, qui méritent plus d’attention, pourraient donc compléter les mesures de santé publique telles que la distanciation sociale et les mesures médicales comme la vaccination.
Jules Siedenburg, Research fellow, School of International Development, University of East Anglia et John Paul Cauchi, PhD Candidate in Public Health, Queensland University of Technology
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: pixabay