Quand la végétation reprend ses droits, il suffit parfois de quelques décennies pour qu’une forêt apparaisse. Ce phénomène porte un nom : l’établissement spontané de forêts. En 70 ans, le couvert forestier européen a gagné 300 000 km² dont une partie importante de forêts spontanées. La reforestation est une conséquence de l’abandon de régions agricoles. Arndt Hampe, Directeur de recherche à INRAE (institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) étudie ce sujet sur lequel il revient lors de cet entretien.
Qu’est-ce que l’établissement spontané de forêts ?
Il s’agit de forêts secondaires qui ont poussé sur des zones qui, à un moment donné, ont été libres d’arbres. Elles apparaissent sans intervention de l’être humain, par opposition aux plantations. Typiquement en Europe, ces forêts poussent sur des champs ou des pâturages délaissés.
À partir de combien d’années est-il possible de parler de forêts ?
Il est difficile de dire précisément quand une forêt apparait spontanément parce qu’il faut du temps aux arbres pour pousser et se consolider. Il s’avère plus aisé d’identifier les forêts dites anciennes qui existent depuis au moins 2 siècles. On les connaît car nous disposons de cartes à peu près fiables.
Les nouvelles forêts, celles que nous étudions, découlent du processus de changement d’affectation d’usage des terres et de l’exode rurale. La plupart de ces nouvelles forêts ont commencé à se développer à partir des années 1950 en Europe.
Quelle est l’ampleur du phénomène en Europe et en France ?
Les images satellitaires permettent de comptabiliser l’expansion du couvert forestier en Europe. Mais de l’espace, il est quasi-impossible de distinguer une forêt secondaire spontanée d’une plantation. Il devient donc très difficile d’évaluer précisément la surface des forêts secondaires apparues naturellement. Nous savons donc que, sur 300 000 km² de nouvelles forêts en Europe depuis les années 1950, plusieurs dizaines de milliers se révèlent être des forêts spontanées. Cela représente une superficie non-négligeable, mais avec des différences et des disparités régionales. L’Europe du Sud et de l’Est, surtout après la Chute du Mur, sont les plus concernées par ce phénomène. Son ampleur est moindre dans les régions les plus peuplées.
Ce phénomène est-il dû à la déruralisation de certains territoires ?
L’exode rural constitue sans aucun doute le facteur le plus important. La forêt peut récupérer du terrain seulement si ce dernier n’est pas utilisé. L’abandon des terrains offre donc la principale opportunité d’extension aux forêts. Les projections démographiques prévoient d’ailleurs encore une baisse importante de la population dans certaines régions agricoles européennes dans les décennies à venir.
Ainsi, 4,2 millions d’hectares de surface agricole pourraient être abandonnées d’ici 2030, ; dans quelles mesures peuvent-ils devenir des zones boisées ?
L’Union européenne a financé plusieurs programmes de plantations d’arbres sur des surfaces agricoles à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros. Mais, la nature le fait aussi toute seule. D’elle-même et sans avoir besoin d’aides financières, elle reboise. Cela présente des avantages et des inconvénients. Toujours est-il que la reforestation se produit dans des zones à l’abandon, où plus personne ne veut exploiter les terrains, voire peut-être même que ces dernières n’ont pas besoin de l’être.
En quoi la reforestation spontanée est une bonne chose ?
Elle participe gratuitement à la lutte contre le réchauffement climatique avec le stockage du carbone par les arbres. Il faut savoir que, dans le cadre du Green Deal, l’Union européenne prévoit de planter 3 milliards d’arbres pour séquestrer du carbone. La forêt spontanée le fait déjà.
De plus, le reboisement naturel peut participer à la préservation des habitats et de la biodiversité.
Et quels sont les inconvénients ?
Si cette reforestation se développe sans contrôle, notamment dans le Sud de l’Europe comme en Espagne et en Grèce, elle présente un risque en ce qui concerne les incendies. Les nouvelles pousses fournissent plus de combustibles aux feux de forêts. De surcroît, dans des régions peu peuplées, il y a un déficit de vigilance et d’entretien de l’espace. Il s’agit d’une question de gestion du paysage. Les importants feux de forêts de Pedrógão du Portugal en 2017 s’expliquent en partie par la crise économique qui a entrainé des restrictions budgétaires dans la gestion forestière. Il y avait donc très peu de maintien des routes d’accès et l’absence de zones coupe-feu. Ces lacunes ont entrainé de gigantesques incendies meurtriers de pins et d’eucalyptus, deux essences qui brulent facilement.
Il faut aussi envisager l’éventualité que l’essor des forêts spontanées accompagne le développement d’espèces invasives. La question reste posée et nécessitée des études approfondies afin d’en savoir plus.
Comment s’assurer que ces nouvelles zones forestières ne soient pas menacées à terme par les activités humaines, le réchauffement ou la dégradation des sols ?
Si on les laisse faire, ces forêts fonctionnent déjà. Nos études dans les Pyrénées montrent que comparativement, les arbres poussent plus vite et mieux dans ces nouvelles forêts. En s’établissant sur d’anciennes surfaces agricoles ou dédiées au pâturage, elles profitent des apports précédents dans les sols, notamment au niveau de l’azote.
Toutefois, si beaucoup d’arbres poussent rapidement, il peut subsister un risque car la nature opère des compromis. Les arbres à croissance rapide se révèlent souvent plus vulnérables au stress, tandis que ceux à croissance lente se montrent plus résistants. Toujours dans les Pyrénées, nous avons mis en relation la croissance des arbres avec la météo. Nous avons constaté que les arbres des nouvelles forêts poussent plus vite, sans sembler pour autant être plus sensibles au stress hydrique. Il faudra néanmoins attendre une grande sècheresse pour confirmer ces premiers résultats.
Enfin, les forêts spontanées peuvent être plus résistantes et résilientes aux aléas, car tous les arbres n’ont pas le même âge et sont d’essences diverses et complémentaires. Leur variété en âge et en taille aide vraiment le milieu à répondre aux aléas que sont le feu, les sècheresses ou encore les maladies et les ravageurs. De plus, la diversité des plantes augmente peu à peu et agit comme une assurance face aux menaces.
Par rapport aux forêts plantées, que peuvent apporter les forêts spontanées ?
Leur diversité assure leur résilience et leur résistance. Les forêts plantées privilégient souvent des arbres productifs, mais pas forcément adaptés aux évolutions du climat à venir et aux ravageurs, comme le Pin de Douglas ou l’épicéas. Le débat entre forêts plantées et non plantées n’a pas lieu d’exister. Elles sont complémentaires. Il faut bien comprendre que chaque type de forêts peut répondre à des objectifs et des contraintes. La reforestation spontanée a un grand avantage : celui de ne pas être chère pour restaurer des milieux. On pourrait lutter contre le réchauffement climatique, mais aujourd’hui les systèmes d’aides européens favorisent la plantation et la restauration active, ce qui n’incite pas à la régénération naturelle des milieux.
Propos recueillis par Jullien Leprovost
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