Sao Paulo (AFP) – Originaire d’une tribu indienne, Emerson Munduruku puise ses racines dans l’Amazonie brésilienne. Un lien indéfectible avec la forêt personnifié par Uyra Sodoma, son alter ego drag queen.
Torse nu, le corps recouvert de peintures vertes, jaunes ou rouge, ce biologiste de formation ramasse lui-même les feuilles, brindilles, graines et autres éléments naturels qui donnent une touche spéciale à sa transformation. Emerson met entre une et deux heures pour devenir Uyra.
Son apparence change à chaque présentation, une sorte de camouflage qui lui permet de se confondre avec la jungle amazonienne. Uyra est une abréviation d’Uirapuru, un oiseau d’Amazonie.
En plus de poser pour des photos accroupie dans une clairière ou à moitié immergée dans le fleuve, la drag queen participe à des projets éducatifs, pour apprendre à des jeunes à se connecter avec la nature et à la protéger.
« À un moment de ma vie je me suis demandé comment je pourrais travailler en faveur de la préservation de l’environnement. Je le faisais d’un point de vue scientifique, mais je me suis rendu compte que la perspective sociale était aussi importante », raconte Emerson, 27 ans, dans un entretien téléphonique avec l’AFP depuis Manaus, la capital de l’Etat d’Amazonie.
Victime d’une agression homophobe en 2015, il a décidé donner un nouveau sens à sa vie, au-delà des laboratoires.
« J’ai passé six ans de ma vie à travailler avec des grenouilles et des lézards. Un jour, on m’a frappé à la sortie d’un bar parce que j’avais mis du rouge à lèvre et du crayon sur les yeux », se souvient-il.
« J’ai ressenti la violence dans ma chair et j’ai commencé à me rapprocher de femmes, de travestis et à comprendre mieux les problèmes de racisme et d’homophobie. Je me suis connecté avec la ville et avec les gens », souligne-t-il.
Mais sa transformation n’est pas seulement le reflet de cette agression. « Notre histoire peut être racontée par le prisme de la douleur, d’une métamorphose immédiate, mais elle est bien plus complexe en réalité ».
« Uyra a donné un nouveau sens à ma vie, elle me rend heureux et me permet de mieux appréhender mon corps, mes désirs et mes angoisses », insiste Emerson, qui se place au-dessus des genres. « Masculin, féminin, peu importe, du moment qu’on me respecte ».
Né près de Santarem, dans l’Etat du Para (nord), Emerson Munduruku a déménagé à Manaus à l’âge de six ans, avec ses parents et sa grande soeur. Il a grandi dans une zone périphérique entrecoupée par des affluents de l’Amazone.
Fils d’une femme de ménage et d’un vendeur, il a fait toutes ses études dans des écoles publiques. Malgré un penchant pour les lettres, un enseignant de son lycée l’a convaincu de choisi la faculté de biologie.
Aujourd’hui, il passe la plupart de son temps à voyager dans des petits villages isolés au bord des rivières pour inculquer aux jeunes des valeurs de préservation de l’environnement à travers l’art. C’est à ce moment-là qu’Uyra apparaît dans toute sa splendeur.
« J’essaie d’utiliser la forêt comme outil et comme inspiration. Cela permet de connecter les gens à la nature », explique Emerson.
« Uyra est toujours accueillie avec des réactions d’enchantement ou de peur (…). En ville, seuls certaines personnes sont ouvertes au dialogue. Dans les villages, le dialogue est plus spontané, il y a moins de distance, même ceux qui ont peur s’approchent pour discuter et les enfants sont très curieux », ajoute-t-il.
À un peu plus de deux mois de l’élection présidentielle d’octobre, Emerson déplore l’absence de débat réel sur les principaux sujets de société au Brésil, notamment l’environnement.
« Nous vivons un retour en arrière dans tous les domaines, avec de nombreux acquis sociaux remis en cause. Il y a graves problèmes de violence et des territoires indiens sont menacés par des accords entre entreprises », s’insurge-t-il.
Mais Emerson envisage tout de même l’avenir avec optimisme: « même si la situation est de plus en plus chaotique au Brésil, je vois beaucoup de vert et d’espérance ».
© AFP – crédit photo: L’artiste et militant écologiste Emerson Munduruku maquillé en Uyra Sodoma, son alter ego drag queen, le 21 juillet 2018 au parc national d’Anavilhanas, en Amazonie brésilienne
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