Grégory Miras, Université de Lorraine et Audrey Rousse-Malpat, University of Groningen
S’il est régulièrement question, en France, de transformer l’enseignement pour mieux répondre aux enjeux actuels, cette préoccupation, dans un monde en plein mouvement, ne se cantonne pas à l’Hexagone, loin de là.
Aux Pays-Bas, par exemple, même s’il a déjà été question en 1968 d’une grande réforme sur l’éducation touchant aussi bien au contenu des programmes qu’aux examens, les cours actuels sont considérés comme ne préparant plus assez bien les élèves au monde moderne. Les épreuves du baccalauréat ne testeraient pas les compétences et connaissances réelles des élèves mais plutôt leur capacité à stratégiquement répondre à des QCM.
C’est particulièrement vrai pour les langues vivantes comme le français où l’examen final – un exercice de compréhension écrite – fait l’objet tous les ans de centaines de plaintes des élèves qui le trouvent trop difficile ou trop ambigu.
L’enseignement du français aux Pays-Bas, obligatoire de la sixième à la troisième, est actuellement sous pression : de moins en moins d’élèves choisissent cette matière au lycée et de moins en moins de jeunes s’orientent vers cette spécialité universitaire peu importe leurs objectifs professionnels. C’est dans ce contexte que les acteurs de l’éducation aux Pays-Bas se demandent si certaines méthodes sont plus efficaces que d’autres, ou, du moins, comment certaines méthodes permettent de mieux répondre aux besoins des élèves, avec l’aide des chercheurs. Soutenue par l’équipe Language Learning à l’Université de Groningen – au nord-est du pays – une approche basée sur l’usage a fait son chemin.
Le cas spécifique des Pays-Bas
Si, comme dans beaucoup d’autres pays, l’anglais prend une place importante dans l’environnement des élèves, avec des occasions presque quotidiennes de le pratiquer, la présence du français dans le paysage néerlandais est limitée. Peu de situations en dehors de la salle de classe permettent des pratiques sociales dans cette langue comme le soulignent Marije Michel, Christine Vidon, Rick de Graaff et Wander Lowie, quatre chercheurs et chercheuses néerlandaises.
Cette situation est en contraste fort avec le fait que le français dispose d’un statut de langue voisine impliquant des intérêts économiques majeurs, 40 millions d’euros par an pour les affaires franco-néerlandaises, soutenus par de nombreuses institutions (Institut français, CCI France Pays-Bas, etc.). Néanmoins, malgré cette situation favorable sur le plan professionnel à l’étude de cette langue, Marjolijn Voogel signale que la perception de l’importance de parler français aux Pays-Bas est toujours en déclin, surtout suite aux réformes à la fin des années 1990. Aussi, moins d’élèves choisissent le français au lycée et le niveau global n’est plus satisfaisant au regard du faible niveau atteint au bout de 6 ans de français à l’école pour Wim Gombert, chercheur en linguistique appliquée.
Ces résultats, similaires à ce que l’on retrouve en France dans l’enseignement des langues étrangères, sont à rapprocher d’un environnement pauvre en occasions de se confronter régulièrement à la langue et de méthodes pédagogiques surtout basées sur les structures de la langue, la grammaire et la traduction plutôt que sur l’usage. Même en classe de langues, on parle peu la langue cible comme le remarquent Lynne West et Marjolijn Verspoor alors même que les enseignants se mobilisent régulièrement pour moderniser leurs cours, organiser des voyages ou utiliser les technologies numériques.
Face à cette situation, une des initiatives a été le développement et surtout la mise en œuvre de plusieurs méthodes (AIM) en primaire et au collègue (dans environ 100 établissements) mais également au lycée (AIMe) (environ quatre établissements) et enfin à l’Université de Groningue (une université).
Un accès à la langue en dehors de la classe
Les méthodes utilisées sont toutes inspirées de recherches scientifiques (sur la théorie dynamique de l’usage, la didactique basée sur le film et approche par tâches) qui considèrent que le langage est un assemblage de mots fréquemment utilisés par des locuteurs dont c’est la langue de socialisation, auxquels les apprenants doivent être exposés de façon répétée à travers des activités créatives et des tâches réelles de la vie.
Ce n’est donc pas une approche où l’on se focalise sur l’analyse de la langue (la compréhension et pratique de règles de grammaire et listes de vocabulaire) mais plutôt une approche où on passe de la reproduction de constructions à la production de celles-ci d’abord de façon implicite, puis inductive et, enfin, parfois explicite aux niveaux avancés.
Afin d’exposer le plus possible les apprenants à ces constructions, du matériel différent est utilisé selon le niveau et l’âge : des contes (au primaire et au collège), des textes ou vidéos créatives et réelles (au lycée) et des films (à l’université). En plus de cette exposition, les apprenants utilisent au lycée et à l’université des logiciels d’apprentissage de mots en combinaison comme Fluent U ou SlimStampen.
L’idée est que les apprenants repèrent le vocabulaire en contexte et fassent des quiz plusieurs fois par semaine jusqu’à ce que ce vocabulaire en combinaison soit ancré cognitivement. Le logiciel se souvient des mots qui ne sont pas acquis et les réintègre dans les exercices lors des prochaines sessions de travail jusqu’à ce qu’ils soient acquis.
En classe, les activités sont variées et surtout axées sur la production orale. Le but de ces activités est d’abord de diminuer l’anxiété liée à la prise de parole en dédramatisant les productions non-conformes aux attendus et en travaillant sur la répétition et l’automatisation. Les activités sont surtout faites en groupe, au début même en chorale, pour que les apprenants développent une certaine confiance en eux. Il y a alors beaucoup de place donnée au développement individuel de la langue chez l’apprenant.
En effet, en se concentrant sur le sens du langage et non pas sur sa forme, chaque apprenant peut utiliser son propre répertoire linguistique et apprendre du répertoire des autres. En même temps, chacun peut travailler individuellement sur l’aspect linguistique qui lui manque pour s’exprimer. Cela demande des compétences d’autonomie guidée et de réflexion personnelle – compétences qui sont travaillées dans ces programmes.
Le rôle décentré de l’enseignant
Cette façon de travailler confirme que l’enseignant de langues n’est pas celui qui transmet ou évalue la connaissance, pas plus qu’il n’est un modèle. Il est celui qui propose des ressources, organise des activités motivantes et itératives (qui favorisant la répétition, l’automatisation du langage), qui crée un environnement propice à la pratique, à la collaboration entre les apprenants, s’assure que la langue cible est utilisée la plupart du temps. Il est aussi celui qui détecte les besoins individuels ou collectifs des apprenants et qui offre des activités pour les combler.
Enfin, il est celui qui organise des moments de retours entre les pairs, qui teste les compétences langagières dans une tâche et qui prend en compte l’étape de développement dans laquelle les apprenants se trouvent – les points forts et les éléments à travailler pour chaque individu. En clair, il se détache du comptage des « erreurs » dans la production des apprenants pour prendre en compte le système langagier dans son ensemble.
Cette façon de voir le rôle du professeur demande un degré de professionnalisation assez fort. Elle nécessite que l’enseignant se détache de la manière dont il a appris une langue étrangère et parfois aussi de ses croyances personnelles. Son action sera d’autant plus pertinente qu’il sait comment se développe le langage d’un point de vue social et psychocognitif, comment et quand intervenir, prend confiance dans le processus complexe de l’apprentissage de la langue et lâche prise sur le fait que chaque apprenant ait sa propre trajectoire de développement langagier.
Plusieurs études ont montré les bénéfices d’AIM et AIMe sur les compétences orales et écrites des apprenants. Cette façon d’enseigner participe à l’idée que le locuteur d’une langue est un agent social plutôt qu’un grammairien. Il n’y a pour le moment pas assez de recul pour observer un lien de causalité entre ce type de méthode et le choix du français aux Pays-Bas. Cependant, ce qui se passe aux Pays-Bas est le témoin de la pertinence de faire travailler ensemble le monde de la recherche et de l’éducation pour expérimenter et implanter des méthodes qui s’appuient sur l’état des connaissances scientifiques contemporaines sur le langage et les langues.
Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de Lorraine et Audrey Rousse-Malpat, Assistant Professor of language learning at the program European Languages and Cultures, University of Groningen
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: depositphotos.com