Clara Wilson, Queen’s University Belfast

Les chiens partagent une longue histoire avec notre espèce, ce qui leur confère une étonnante capacité à décrypter les signaux que nous leur envoyons. Ils possèdent également un incroyable sens de l’odorat, qui leur permet de détecter, à partir de leur seule odeur, certaines maladies qui affectent les êtres humains, comme le Covid-19 ou le cancer du poumon. La question de savoir si ces capacités s’étendent à la détection d’odeurs associées à des états psychologiques a en revanche été beaucoup moins explorée.

Mes collègues et moi-même avons voulu déterminer si les chiens pouvaient distinguer, grâce à leur flair, les échantillons d’odeurs prélevés sur une même personne, avant et après qu’elle ait subi un stress. Il faut savoir que lorsque nous sommes stressés, des changements hormonaux et des modifications du système nerveux surviennent et modifient les odeurs produites par notre corps.

Pour déterminer si les chiens pouvaient effectivement détecter de telles différences, nous nous sommes inspirés des protocoles appliqués aux chiens de détection biomédicale, des chiens renifleurs dont les talents sont employés en laboratoire. Nous les avons combinés avec des techniques employées pour tester la façon dont nos compagnons canins perçoivent les odeurs. Nos résultats ont été publiés dans la revue PLOS One.

Le protocole, côté humain

Nous avons dans un premier temps équipé les participants (humains) à l’étude de capteurs destinés à mesurer en continu leur rythme cardiaque et leur pression artérielle. Nous leur avons également demandé d’évaluer leur niveau de stress ressenti avant et après avoir pris part à la tâche que nous leur demandions d’accomplir dans le cadre de cette expérimentation. Il s’agissait d’effectuer un calcul mental rapide, censé induire un stress.

Avant le début de la tâche, les participants ont essuyé un morceau de gaze sur leur nuque, l’ont placée dans un flacon en verre stérile, puis ont expiré dans le flacon. Après la tâche, les participants ont fourni deux autres échantillons de sueur/souffle.

La durée séparant la collecte des échantillons « en état détendu » (avant la tâche) et « en état stressé » (après la tâche) était de quatre minutes. Ce court délai réduit la probabilité que des modifications liées à d’autres événements que le stress de l’exercice n’affectent les participants.

Nous n’avons inclus dans l’étude que les échantillons des participants ayant déclaré qu’ils avaient trouvé la tâche stressante, et dont la fréquence cardiaque et la pression artérielle avaient augmenté pendant l’exercice. En fin de compte, nous avons présenté aux chiens les échantillons de 36 personnes.

Le processus de formation des chiens

Les chiens inclus dans cette étude étaient des animaux de compagnie, dont la participation avait été proposée par leurs propriétaires. Ces animaux avaient été entraînés par des chercheurs dans un laboratoire une fois par semaine, en utilisant le renforcement positif (qui consiste à associer un exercice à quelque chose qui représente une récompense pour l’animal, ndlr).

Avant le début de la collecte de données, les chiens ont ainsi appris à faire savoir qu’ils choisissaient un échantillon en se tenant debout et en restant figés au-dessus de celui-ci pendant plusieurs secondes ou en s’asseyant devant lui – une attitude que nous avons dénommée « comportement d’alerte ».

Les animaux ont ensuite été initiés à un jeu d’appariement, via lequel ils ont appris à distinguer des échantillons dont l’odeur était différente. Une fois qu’il a été établi qu’ils avaient réussi ce jeu, ils étaient prêts à participer au test proprement dit.

Lors de ce dernier, nous avons demandé aux chiens de distinguer les échantillons prélevés sur les participants avant et après la tâche arithmétique susmentionnée. Pour leur apprendre quelle odeur ils devaient rechercher lors de chaque session de test, nous leur avons d’abord montré l’échantillon de sueur ou d’haleine de la personne stressée, ainsi que deux échantillons « contrôles » – des morceaux de gazes propres placés dans des flacons en verre stériles, donc sans sueur ni haleine. Les chiens ont été autorisés à flairer les trois échantillons et ont été récompensés lorsqu’ils se sont avérés capables de signaler aux chercheurs l’échantillon de sueur/respiration.

Après dix expositions, un deuxième échantillon d’haleine/de sueur a été ajouté à la liste : l’échantillon détendu de la même personne. C’est à partir de ce moment qu’a commencé le test de «  discrimination  », qui s’est déroulé sur les 20 essais suivants.

L’échantillon de stress choisi dans 94 % des cas

Lors de cette phase, les chiens devaient communiquer, par leur comportement d’alerte, l’échantillon qu’ils percevaient comme identique à celui qui leur avait été montré au cours des dix essais précédents, c’est-à-dire l’échantillon qui avait pour eux l’odeur de l’échantillon de stress. Des contrôles ont été mis en place pour vérifier que les chiens ne s’appuient pas sur d’autres informations que celles en lien avec l’échantillon testé pour les aider dans leurs choix (tels qu’une odeur qui persisterait sur les dispositifs de présentation des échantillons, ou une aide visuelle inconsciemment fournie par l’expérimentateur).

Dans le cas où les deux odeurs présentées paraissent similaires au chien renifleur, on peut s’attendre à ce qu’il choisisse l’une ou l’autre par hasard. Si les deux odeurs lui semblent distinctes, il devrait en revanche être capable de trouver systématiquement l’odeur qui lui a été présentée initialement lors de leur formation (l’odeur « de stress »). Chaque ensemble d’échantillons provenant des participants n’a été utilisé qu’une seule fois, de sorte que les chiens se sont vu présenter les échantillons provenant d’un participant différent au cours de chaque session.

Résultat : dès leur première exposition aux échantillons « de stress », les chiens ont trouvé qu’ils avaient une odeur spécifique. Ils ont en effet correctement choisi l’échantillon de stress dans 94 % des 720 essais. Le fait d’avoir été soumis à un exercice de calcul mental qui les a stressés a donc bien provoqué une modification des odeurs produites par le corps des participants.

Il convient toutefois de souligner que cette étude ne détermine pas si les chiens ont perçu les échantillons de stress comme reflétant un état émotionnel négatif. Il est probable que, dans la vie réelle, les chiens utilisent divers indices contextuels, tels que notre langage corporel, le ton de notre voix ou notre rythme respiratoire, pour les aider à comprendre une situation.

Ces résultats fournissent cependant des preuves solides que l’odeur du stress est également un élément que les chiens peuvent percevoir. Ils permettent de mieux comprendre comment les chiens perçoivent les états psychologiques humains et interagissent avec eux.

Au-delà d’une meilleure appréhension de la relation qui nous uni à nos compagnons canins, ces connaissances pourraient également être utiles pour mieux former les chiens d’assistance aux personnes souffrant d’anxiété et de trouble de stress post-traumatique, lesquels sont actuellement dressés pour répondre principalement à des signaux visuels.

Clara Wilson, PhD Candidate, Psychology, Queen’s University Belfast

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: depositphotos.com