Une montagne de déchets toujours plus haute, à mesure que les Chinois, atteints par le virus de la consommation, commandent toujours plus de colis…
Carrie Yu a dit non. Dans son appartement de Pékin, cette femme de 28 ans a créé son petit royaume minimaliste, où tout ou presque est recyclé.
Dans la cuisine, une boîte à oeufs en carton est prête à être réutilisée autant que nécessaire. Son recyclage obligerait à consommer de l’eau et de l’énergie.
Dans la salle de bains, des cotons démaquillants sont en train de sécher après lavage.
Dans l’armoire, les vêtements sont souvent d’occasion ou redécoupés, après avoir vécu d’autres vies.
Quand elle fait ses courses, la jeune Chinoise achète en vrac des produits non emballés au marché du coin. Elle snobe les restaurants qui offrent des baguettes jetables.
Un comportement qui n’aurait rien d’incongru à Paris ou New York, mais tranche dans un pays ou pendant très longtemps la conscience écologique a brillé par son absence.
Une goutte d’eau
Cette vie « zéro déchet », Carrie la vit depuis 2016, lorsqu’un déménagement l’a forcée à se séparer d’une grande partie de ses biens. « Je me sens beaucoup plus légère », sourit-elle.
Une fois que tout a été soit recyclé, soit réutilisé, soit composté, Carrie et son compagnon arrivent à faire entrer trois mois de déchets dans deux bocaux en verre.
Le jeune couple a lancé The Bulk House, une boutique en ligne, qui vend des produits zéro déchet tels qu’adhésifs biodégradables à base d’amidon ou serviettes hygiéniques lavables.
Une goutte d’eau dans un océan d’emballages usés qui ne fait que grandir: la Chine, qui ne produisait que 30 millions de tonnes de déchets en 1980, en a accumulé 210 millions de tonnes en 2017, selon des chiffres de la Banque mondiale.
C’est toujours moins que les Etats-Unis (258 millions de tonnes), mais le géant asiatique devrait atteindre les 500 millions de tonnes en 2030, d’après l’institution internationale.
Coût énorme
Passer du jour au lendemain de la pénurie à la surconsommation a créé de mauvaises habitudes.
A l’ère maoïste, avant les réformes de la fin des années 1970, il était courant de devoir consigner bouteilles et pots de yaourt, rappelle Mao Da, historien de l’environnement à l’Université normale de Pékin.
« On nous avait habitués à penser qu’il était glorieux d’être frugal », explique-t-il.
Depuis, la hausse du niveau de vie et l’omniprésence du commerce en ligne, avec des applications comme Taobao ou Meituan, ont transformé des centaines de millions de consommateurs en acheteurs compulsifs, qui commandent leur repas ou leurs moindres envies en quelques clics sur leur portable.
Un cauchemar pour Carrie, qui se souvient de son enfance dans un village du Hubei (centre). L’eau jadis limpide des rivières et des lacs « est remplie de déchets » aujourd’hui, témoigne-t-elle.
Les jeunes comme elle qui sont partis à la ville reviennent à chaque visite les bras chargés de paquets.
« Tout est enveloppé dans du plastique, parce que c’est commode. Mais le coût de la commodité est énorme », déplore-t-elle.
Prise de conscience
Une prise de conscience est-elle enfin en train de se dessiner?
Le gouvernement central a annoncé dimanche une guerre au plastique non recyclable. Dès cette année, les pailles et sacs à usage unique vont devenir hors la loi dans les grandes villes.
Shanghai, la plus grande métropole du pays, vient de lancer un ambitieux programme de tri des ordures, avec amendes à l’appui. Pékin doit suivre cette année.
Les mentalités évoluent aussi.
« Avant, quand j’apportais mes propres boîtes et mes sacs, les commerçants me regardaient d’un air bizarre », confie Wei Wei, une styliste indépendante. « Aujourd’hui, ça s’arrange nettement. Même au marché on me dit: c’est bon pour l’écologie ».
Les géants du commerce en ligne ont entendu le message.
Alibaba a mis en place 75.000 points de recyclage des emballages dans tout le pays après sa « Fête des célibataires », le plus gros événement mondial de commerce en ligne.
La dernière édition, le 11 novembre, a vu circuler 2,3 milliards de colis, selon la Poste chinoise. Presque deux par habitant…
© AFP – crédit photo: Carrie Yu et son compagnon Joe Harvey, militants du recyclage et fondateurs de The Bulk House, montrent leurs déchets d’une année, le 12 décembre 2019 à Pékin, en Chine © AFP NICOLAS ASFOURI