Les articles de presse se multiplient sur le « grand oral », nouveauté du baccalauréat 2021. À les lire, une anxiété certaine toucherait les élèves qui se préparent à passer cette épreuve, mais aussi certains enseignants chargés de les évaluer.
De manière plus profonde se greffe sur cette situation la crainte très répandue de la prise de parole en public. Naomi Osaka en a donné ces derniers jours une excellente illustration : championne de tennis victorieuse de quatre tournois du Grand Chelem, elle a préféré il y a quelques jours se retirer de Roland-Garros plutôt que de participer au rituel de la conférence de presse, qu’elle jugeait trop anxiogène.
Une nouvelle épreuve
Si vous êtes comme Naomi, notez qu’il est beaucoup plus facile d’apprendre à parler en public, et à gérer les émotions qui vont avec, que de gagner un tournoi du Grand Chelem. D’amples ressources existent sur le sujet : la question de faire passer des messages à la fois contrôlés et efficaces se pose depuis que l’homme vit dans des sociétés fondées sur le droit (via la plaidoirie) et démocratiques (via le débat).
En réalité, l’art de parler en public est peut-être encore plus ancien, puisque la capacité à souder le groupe par la parole, autour de valeurs ou d’expériences communes, est une compétence fondamentale dans l’espèce sociale qui est la nôtre. Dans ces vingt-cinq ou vingt-sept siècles de réflexion, beaucoup d’idées, que l’enseignement en France a malheureusement trop oubliées depuis une centaine d’années, sont à reprendre. On en proposera ici quelques-unes, inspirées par trois figures d’orateurs des siècles passés.
En préambule, il importe de remettre les choses à leurs justes dimensions. Obtenir le bac est certes essentiel. Mais les vœux sur Parcoursup, bien plus déterminants pour la suite de vos études, sont faits. L’épreuve est nouvelle, et c’est pour vous un avantage supplémentaire : une fois lus les documents de cadrage mis à disposition par le ministère de l’Éducation nationale, vous en saurez à peu près autant que vos futurs correcteurs. Et les aménagements des épreuves du fait de la pandémie doivent rassurer plus encore.
En réalité, on peut prédire sans trop de risque qu’il n’y a que trois moyens de rater son grand oral :
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Ne pas maîtriser les connaissances attachées aux questions que vous traitez. Le problème serait lié à un manque de travail qui pourrait vous être légitimement reproché.
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Proposer un discours décousu, plein d’hésitations et de redites. Le problème est assez facile à régler : vous devez, en amont, réfléchir à l’ordre de vos arguments. N’hésitez pas à vous filmer et à demander les avis de proches sur les passages à améliorer.
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Enfin, l’écueil principal est de donner l’impression d’un manque de motivation. Être dans une forme d’engagement avec votre jury est essentiel : cela signifie avoir une bonne posture, et surtout être ouvert dans son ton et sa façon de parler. L’idée avait été envisagée d’appeler cet exercice « Oral de maturité » : c’est exactement ce que le jury attendra. Vous devez montrer que vous êtes capables de vous projeter dans l’enseignement supérieur et, à plus long terme, dans le monde professionnel.
Venons-en à quelques conseils inspirés de grands orateurs antiques.
Penser au plan avec Corax
Corax n’est pas le plus connu des orateurs ou théoriciens que nous allons évoquer, mais il est pour certains Grecs au moins le fondateur de l’art oratoire. La rhétorique, selon ce mythe des origines, serait née en Sicile vers 465 avant J.-C., à l’occasion d’une grande vague de procès consécutive à la chute d’un tyran. Dans ce contexte, un certain Corax (« le corbeau » en grec) aurait publié un traité sur l’art de gagner ses procès.
Corax prescrit que tout discours doit impérativement comprendre trois parties – tout développement doit être précédé d’une introduction et suivi d’une conclusion. Si cette idée a traversé les siècles, c’est qu’elle n’est pas une tradition, mais correspond à la réalité de l’écoute humaine. L’attention du public est maximale au début, et remonte vers la fin du discours si on a pensé à annoncer la conclusion. Corax, qui est surtout intéressé par la plaidoirie, précise aussi que le développement doit suivre un plan précis.
Pour votre grand oral, c’est exactement la même chose : vous devez préparer votre introduction et votre conclusion avant le jour J, elles sont aussi importantes, sinon plus, qu’à l’écrit. Vous pouvez les apprendre par cœur si vous arrivez à réciter avec naturel, ou connaître intimement chaque bloc que vous allez faire avec seulement une ou deux phrases clés mémorisées par cœur. En tout cas, l’introduction doit être fluide et engageante, entraînez-vous !
Le plan du développement doit aussi être conçu en amont, les 20 minutes de préparation dont vous disposez doivent seulement vous servir à vous remémorer ce plan, les dates et chiffres clés, ainsi que quelques phrases destinées à marquer le jury (ce qu’on appelait dans l’Antiquité « sententia », et que vous appelleriez plutôt « punchlines »).
Jouer le jeu comme Démosthène
Démosthène pour les Grecs, est le plus grand orateur ayant jamais vécu. Infatigable dans tous les genres du discours, on se souvient surtout de lui pour ses tentatives de soulever les Athéniens contre la menace que représentait pour eux Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand. Les discours qu’il consacre à l’attaquer, dénommés philippiques, ont eu tellement d’influence que le mot en est venu à désigner une violente attaque verbale contre un adversaire.
Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, tous les témoignages suggèrent qu’il n’avait aucune prédisposition naturelle pour l’art oratoire. Enfant malingre, moqué par les autres, souffrant de bégaiement, court de souffle, il bat en brèche l’idée que le talent de l’orateur est un don inné.
De nombreux récits et anecdotes illustrent le fait que Démosthène devient le plus grand orateur de tous les temps à la seule force de son travail : il fait creuser une cave sous sa maison pour s’entraîner sans être entendu et travaille sa diction en déclamant avec des cailloux dans la bouche.
Ses débuts pourtant sont difficiles. Plutarque, l’historien qui nous en dit le plus sur sa vie, raconte qu’un jour où on l’avait carrément sifflé sur l’Agora, il rentrait chez lui le cœur lourd et l’âme abattue par les rues d’Athènes. C’est dans ce triste état qu’un de ses amis, le comédien Andronicus, le rencontre ; il l’emmène chez lui, écoute son problème – Démosthène sent bien que personne ne l’écoute quand il parle, et le comédien lui demande de réciter un petit extrait.
Pour Andronicus, la clé du problème est évidente : Démosthène récite, mais ne joue pas son texte. Il ne s’empare pas des mots qui lui restent étrangers, il ne les interprète pas. Grâce à la révélation d’Andronicus, qui le guide, la carrière oratoire de Démosthène est enfin lancée.
Par la suite, lorsqu’on lui demande quelle est la partie la plus importante de l’art de l’orateur, Démosthène répond « l’action ». Il a compris qu’on peut avoir les raisonnements les plus judicieux, la plume la plus habile, mais que si on ne maîtrise pas le jeu, personne n’aura réellement envie de vous écouter.
Il y a beaucoup de dimensions à travailler dans ce domaine, mais en ce qui concerne le grand oral, si vous être convaincu par ce que vous dites, si vous projetez bien votre voix, si vous soutenez la parole par le geste, ce sera déjà bien.
Travailler le style comme Quintilien
Quintilien, au 1er siècle après J.-C., est le dernier grand théoricien romain de l’art oratoire. Son traité, L’Institution oratoire, est à la fois une somme des savoirs de l’Antiquité sur la rhétorique et le premier ouvrage de pédagogie « moderne ». Un des éléments auxquels Quintilien est le plus attaché est le travail du style, ou « elocutio ». Il doit correspondre à ce qui est approprié aux circonstances, ce que les latins appellent l’« aptum ».
Pour le grand oral, à l’évidence, le langage utilisé doit être approprié. Le vocabulaire doit être précis, et donc riche sans fioritures inutiles. Si vous hésitez sur le registre ou le niveau de langage à employer, imaginez que vous êtes professeur et que vous vous exprimez devant des élèves. Vos enseignants utiliseraient-ils telle ou telle formule ? Si le vocabulaire ou la diction que vous allez employer ne vous sont pas habituels, dites-vous que c’est une nouvelle facette de vous-même qui est en train d’apparaître. Cette facette, c’est l’orateur ou l’oratrice ; elle n’efface pas les autres, mais les complète et les tire vers la lumière.
Wikimedia
Si vous n’avez pas l’habitude de prendre la parole, privilégiez des phrases courtes ; dans tous les cas, vous devez savoir comment la phrase va se terminer avant de la commencer. Pour cela, n’hésitez pas à ménager des pauses. Elles peuvent marquer la transition entre différentes parties ; elles peuvent aussi servir à vous retrouver dans vos notes, vérifier que vous n’avez rien oublié. Si vous n’êtes pas mal à l’aise, un silence de quelques secondes où vous compulsez vos fiches paraîtra tout à fait naturel à vos auditeurs, même s’il vous semblera très long (faites l’expérience avant l’examen).
Quintilien insiste dans L’Institution oratoire sur l’idée de bienveillance, celle que doit avoir le maître pour ses élèves, mais aussi, pourrait-on ajouter, celle qui doit habiter l’élève. Être orateur, en effet, ce n’est pas seulement bien parler pour Quintilien et son maître Cicéron ; c’est placer la raison et le dialogue avant tout, et s’efforcer d’incarner au plus haut degré les qualités humaines.
Élèves de la promotion 2021, vous aurez eu peu de temps pour devenir orateurs ; espérons que les vagues suivantes s’y essaient dès le collège. Mais prenez cette épreuve comme l’occasion de semer une graine ; elle ne demandera qu’à pousser quand nous vous retrouverons dans trois mois sur les bancs de l’université, et bien au-delà.
Guillaume Simiand, Professeur agrégé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: pixabay