« Tu devrais déjà être au lit et nous n’avons même pas encore lavé tes dents », vous désespérez-vous alors que votre fils de 4 ans passe en courant dans le couloir, renversant la pile de linge propre que vous venez de déposer ?

Ce genre de situation peut sembler familier à bien des parents : dans le monde entier, les conséquences de l’épidémie de Covid-19 leur a laissé plus de temps à partager avec leurs enfants mais moins de ressources pour faire face aux moments d’énervement des plus jeunes.

Heureusement, il existe un moyen amusant et fondé scientifiquement pour inciter vos enfants à s’investir dans ce que vous leur demandez, avec plus de persévérance et d’entrain : jouer à faire semblant.

Sans une minute de répit pour construire une bonne histoire, je peine à convaincre mon enfant de 3 ans de ranger ses jeux. C’est ainsi que nous nous retrouvons à imaginer que nous sommes des pelleteuses chargées de jeter toutes les pierres qui nous entourent dans une boîte. Et il faut en général ménager un rebondissement dans notre histoire pour maintenir l’envie d’aller au bout du défi – qu’il s’agisse d’un ennemi armé d’une boule de démolition ou d’un chat qui se fait piéger.

Pourquoi ce genre de scénario fonctionne-t-il ? De récents travaux de recherche nous l’expliquent.

Contrôler ses émotions

Si un enfant se comporte mal (en bref, s’il fait le contraire de ce qu’il devrait faire), cela peut vouloir dire qu’il a besoin d’un défi plus important que ce qu’on lui demande. Selon Lev Vygotsky, un expert russe de premier plan en psychologie, l’imagination est le moteur du développement des enfants à la période où la réalité ne suffit pas à attiser leur curiosité. Cette période se situe entre 2 ans et 7 ans.

Faire semblant aide les enfants à se mettre à la place des autres et à persévérer dans leur voie. Parmi ceux de 7 ans, par exemple, deux sur trois ont déjà eu un ami imaginaire. Ils ont plus de facilités à comprendre le point de vue et les émotions des autres et sont capables de raconter des histoires plus complexes que leurs camarades.

Des travaux de recherche montrent que plus les élèves de maternelle arrivent à faire semblant, plus ils sont capables de contrôler leurs émotions. C’est important car, pour persévérer dans une tâche, il faut savoir surmonter les autres émotions et idées qui surgissent dans l’intervalle. C’est ce qui permet de ne pas perdre de vue son objectif principal, qu’il s’agisse de ranger ses jouets, faire des devoirs ou se brosser les dents.

Cet aspect est d’autant plus important que les enfants qui arrivent mieux à se contrôler auront plus tard une meilleure santé, de meilleures relations, plus de facilités à faire des économies et moins de risques d’avoir un casier judiciaire à l’adolescence et plus tard.

Des expériences ont montré que lorsqu’on demande à des enfants de 6 ans de se mettre dans la peau de Bob le bricoleur ou de Dora l’exploratrice, ils étaient plus persévérants dans les tâches qui pouvaient leur sembler ennuyeuses, et les réalisaient mieux.

Faire semblant aide les enfants à persévérer dans leur voie. Shutterstock

D’autres expériences montrent qu’exercer des enfants de 5 ans à faire semblant et à travailler leur imagination 15 minutes par jour pendant cinq semaines se traduisait par une meilleure mémoire et une meilleure capacité de concentration – les résultats étant meilleurs que ceux obtenus avec des jeux classiques, non basés sur l’imagination, comme les jeux de balle. Les enfants seront moins réticents à nettoyer le petit déjeuner qu’ils viennent de renverser s’ils ont appris à surmonter l’ennui et à voir le monde sous un autre angle.

Et non, se mettre devant la télé pour regarder Ben 10 n’apportera pas les mêmes bénéfices – il faut pour cela que votre enfant fasse l’effort de jouer un rôle.

Changer de point de vue

Nous avons récemment reproduit ces expériences où l’on demande aux enfants de faire semblant, mais en variant le type de personnages proposés. Nous avons constaté que les enfants désignés au hasard pour jouer des rôles positifs (Batman, par exemple), manifestaient plus de retenue que ceux qui se voyaient attribuer des rôles de « méchants », mais que les sorciers et sorcières étaient les plus posés de tous. On avait l’impression que les enfants endossaient les qualités de leurs personnages imaginaires.

Donc en jouant à être un garde patient, votre enfant sera peut-être plus enclin à attendre que vous ayez fini de lui brosser les dents, tandis qu’en s’identifiant au consciencieux Bob le bricoleur, il sera plutôt disposé à vous aider à nettoyer la salle de bains après son passage.

La référence à des personnages peut aussi aider un enfant à se calmer ou à comprendre ce qui ne va pas dans son comportement. Les modèles imaginaires fonctionneraient parce qu’ils aident à adopter une perspective différente. Au lieu d’interpeller directement votre enfant sur ce qui vient de se passer, discutez plutôt de ce que ferait tel ou tel personnage. Et si la situation est trop complexe pour l’enfant, vous pouvez aussi utiliser des jouets pour mettre en scène le comportement qui pose problème.

Défier votre enfant en sollicitant son imagination peut aussi l’inciter à faire ses devoirs. Les chercheurs se tournent désormais vers un enseignement basé sur le jeu pour améliorer la résolution de problèmes, la lecture, le calcul et la capacité d’attention. Une analyse de 22 études a montré que l’enseignement est plus efficace auprès des enfants de moins de 8 ans quand il adopte une approche ludique.The Conversation

Yeshe Colliver, Lecturer in early childhood, Macquarie University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo couv:

En se mettant dans la peau d’un personnage imaginaire, les enfants apprennent à contrôler leurs émotions. Shutterstock