« Voulez-vous arrondir le montant de vos achats à l’euro supérieur pour soutenir une association ? » Ces dernières semaines, nombreux sont les consommateurs français à avoir dû répondre oui ou non à cette demande effectuée aux caisses des magasins, au profit des Ukrainiens, des sinistrés turcs et syriens ou encore lors de l’opération « pièces jaunes » en faveur des enfants hospitalisés.
Les sommes – quelques centimes d’euros de dons par passage en caisse – semblent dérisoires. Pourtant, le mécanisme de microdonation (ou arrondi en caisse, ou encore checkout charity chez les Anglo-saxons) se diffuse de plus en plus largement au sein de réseaux d’enseignes qui y voient un moyen d’améliorer leur réputation. Cette forme de don a permis de collecter plus de 50 millions d’euros en France depuis 2010.
Certains consommateurs y trouvent une façon simple et indolore de soutenir une association. Pourtant, nous demander de donner, à chaque passage en caisse, peut finir par agacer. D’une opportunité de se montrer généreux, cela devient parfois source de gêne, de culpabilité, voire d’irritation lorsque l’on doit refuser à voix haute.
« Moi, la pauvre »
Si vous ressentez ce type de sentiments lorsque vous êtes sollicités pour un don en caisse, sachez que vous n’êtes pas seul : aux États-Unis, le phénomène est tellement connu que même un personnage du dessin animé South Park le dénonce et les mentions « Stop asking me to donate » (« arrêtez de me demander de donner ») se sont multipliées sur le réseau social Twitter.
Faisant suite à une étude suggérant qu’il existe des conditions optimales favorisant le don en caisse (proposer le don via un terminal de paiement électronique plutôt que de vive voix, dans une enseigne spécialisée, particulièrement dans le secteur des loisirs, avec une couverture géographique large), j’ai mené une analyse poussée de ces tweets pour comprendre non pas pourquoi les gens donnent, mais au contraire, pourquoi ils se refusent à donner. Ont ainsi pu être mis en évidence trois facteurs d’agacement liés à la sollicitation au don en caisse.
Le premier facteur d’agacement est la sursollicitation. Du fait de la multiplication des canaux de demandes de dons (emails, téléphone, en personne, courrier, en caisse, etc.) et des lieux de sollicitation (dans la rue, dans la boîte aux lettres, au travail, pendant les courses, etc.), les potentiels donateurs regrettent un manque de ciblage qui les conduit à être submergés de demandes pour des causes qui ne les intéressent que rarement. La demande de don en caisse fait alors figure d’une goutte d’eau supplémentaire au service d’un supplice bien connu qui finit par rendre fou. Un message sur Twitter illustre ce ras-le-bol :
« S’il vous plaît, The Guardian et Wikipedia : arrêtez de me demander de donner ! Je le fais déjà, chaque mois. Je ne comprends pas comment vous pouvez m’envoyer des rappels par mail sans savoir cela ».
Deuxièmement, le manque de réciprocité est très largement dénoncé par les donateurs mécontents : pourquoi donner alors que l’enseigne ne le fait pas ? Dans notre étude, portant sur 706 tweets, les entreprises qui sollicitent des dons pour une association s’y voient attribuées des motivations égoïstes à 61 %, contre 11,8 % si l’association demande elle-même de l’argent :
« J’aimerais que les entreprises milliardaires cessent de me demander à moi, la pauvre, de donner 2 dollars. »
« Chers WoolWorths et Coles [chaînes de supermarchés en Australie], arrêtez de me demander de donner de l’argent à de multiples causes à chaque passage en caisse. Je ne suis pas celui qui fait des milliards de profits, vous l’êtes ! Si vous ressentez le besoin de faire le bien, que pensez-vous de donner vous-même et en mon nom ? Incroyable. »
Troisièmement, les donateurs agacés s’interrogent sur la légitimité des enseignes qui lèvent des fonds au profit d’associations. Entre démarche sincère et « socialwashing », les clients ont parfois du mal à y voir clair. Ce qui conduit souvent les consommateurs à se poser la question de savoir où va l’argent donné.
Pourtant, contrairement à certaines idées reçues, les entreprises partenaires de l’arrondi solidaire ne gagnent pas d’argent dans l’opération. Grâce à une solution technique implémentée dans les terminaux de paiement par l’entreprise solidaire MicroDON (ou par des acteurs bancaires qui se lancent dans le microdon tel que la Banque Populaire), l’argent que les consommateurs donnent est fléché de manière transparente vers les associations choisies. En France, au-delà de 5 euros donnés par an et par enseigne, les clients peuvent même faire valoir leur droit à la défiscalisation.
Chaleur intérieure
En s’intéressant aux effets négatifs de la sollicitation de don d’argent, cela permet de mieux comprendre comment adapter les campagnes de don afin d’éviter que la générosité des donateurs ne s’érode. En effet, les enseignes et associations devraient prendre en considération ces clients qui ne voient pas l’arrondi solidaire d’un bon œil.
D’un côté, les « consommateurs irrités » peuvent y voir une forme d’illégitimité du fait que l’enseigne de s’associe pas à leur don, ce qui peut dégrader l’image de marque de l’enseigne et l’envie d’y revenir. D’un autre côté, les « donateurs agacés », s’irritent d’être sollicités à tout va, par de multiples moyens, sans ciblage adapté, au risque de fuir devant les demandes des associations.
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Ces recherches menées pour améliorer l’expérience du don peuvent amener à se poser la question suivante : après tout, pourquoi devrions-nous être généreux ? Pourquoi l’arrondi en caisse ne peut-il pas être seulement un outil marketing comme il en existe tant d’autres, imparfait ou efficace selon les enseignes ? Une réponse est que la générosité a beaucoup de vertus, pour la société mais aussi pour soi. En effet, donner permet notamment de ressentir un sentiment de chaleur intérieure (« warm glow »), de réduire le stress et le risque d’accident cardiaque, ainsi que, comme le soulignent les promoteurs du don, de mieux apprécier sa vie. Rien que ça !
Elodie Manthé, Maître de Conférences en Sciences de gestion, Université Savoie Mont Blanc
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: pixabay