Connaissez-vous le mil, ou plutôt, les mils ? Cette famille de céréales, essentielles dans plusieurs régions du monde, reste encore assez peu connue sous nos latitudes.
L’appellation « mil » recouvre une grande diversité de plantes, appartenant à différents genres, mais toutes à la famille des poacées, qui comprend la plupart des espèces communément appelées « herbes » et les céréales. Les mils ont en commun d’être originaires d’Afrique ou d’Asie ; d’être rustiques et relativement tolérants à la sécheresse ; et de produire des grains de petite taille (quelques millimètres).
Domestiqués il y a plusieurs millénaires dans leurs régions d’origine, ils se sont ensuite largement répandus.
Des céréales « secondaires »
La majeure partie de la production est aujourd’hui fournie par le sorgho ou « gros mil » (Sorghum bicolor), cinquième céréale mondiale avec 60 millions de tonnes, dont près de la moitié en Afrique et un tiers en Amérique ; et le mil perlé ou « petit mil » (Pennisetum glaucum) avec 15 à 20 millions de tonnes, essentiellement en Inde et en Afrique en région sahélienne.
Les principaux autres mils sont l’éleusine ou « mil rouge » (Eleusine coracana) ; le millet commun (Panicum miliaceum) ; le millet des oiseaux (Setaria italica) ; le teff (Eragrostis tef) et les fonios : blanc (Digitaria exilis), noir (D. iburua) ou à grosses graines (Brachiaria deflexa). Majoritairement cultivés en Asie et en Afrique, leur production mondiale annuelle représente 10 à 15 millions de tonnes.
À titre de comparaison, la production de maïs s’élève à plus de 1000 millions de tonnes, celles du blé et du riz à 750 millions de tonnes chacune, celle de l’orge à 160 millions de tonnes.
Les mils sont ainsi considérés, en termes de production, comme des « céréales secondaires ».
Essentiels aux populations des zones arides d’Afrique et d’Asie
Figurant parmi les rares plantes capables de produire des calories dans des conditions d’agriculture de subsistance avec peu d’intrants, des sols pauvres et des épisodes de sècheresse, les mils sont d’une importance capitale pour assurer la sécurité alimentaire des populations vivant dans les zones arides d’Afrique subsaharienne et d’Asie, où ils représentent l’aliment de base pour 600 millions de personnes.
L’alimentation humaine est en effet le principal usage des mils, sous forme de grains entiers décortiqués et cuits ou bien moulus en farine entrant dans la confection de préparations culinaires.
Utilisés depuis des millénaires, ils sont à l’origine de nombreuses spécialités locales. En Afrique de l’Ouest on trouve le tô, bouillie épaisse à base de farine de mils ou de maïs ; le thiéré, couscous de mil consommé à l’occasion de fêtes religieuses au Sénégal ; le futti fognè, plat végétarien à base de fonio, considéré comme « le plat du pauvre » en Guinée ; ou encore des boissons à base de graines de mils maltées et fermentées (dolo, gowé, tchapalo).
En Éthiopie, l’injera, sorte de crêpe préparée avec du teff ou du sorgho fermenté, accompagne tous les repas. En Inde, le pain bhakri à base de farine de sorgho constitue l’aliment de base dans plusieurs régions. En Grande Mongolie, on prépare le süütei tsai, un thé au lait incorporant des grains frits de millet commun ; tandis qu’en Chine, le baijiu maotai, un alcool de sorgho, est considéré comme le meilleur des spiritueux.
Essentielles pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle de millions de personnes pauvres vivant dans des régions semi-arides, et qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique, les mils n’ont fait l’objet que de peu d’attention et d’investissements en regard des autres grandes cultures céréalières.
Plus qu’un aliment, des plantes aux multiples atouts
D’un point de vue nutritionnel, en plus de l’apport calorique, les mils sont particulièrement riches en fibres et, selon les espèces, en certains minéraux (fer, zinc), vitamines (A, B), acides aminés (méthionine, cystéine) et antioxydants (polyphénols). Tous offrent l’avantage d’être dépourvus de gluten, protéine responsable d’intolérance chez une part croissante de la population. De plus, des effets positifs de la consommation de certaines de ces céréales sur le diabète ou la pression artérielle, questions qui méritent d’être approfondies.
Les mils sont aussi utilisés pour l’alimentation animale : les tiges et les feuilles de certaines espèces fournissent des fourrages d’excellente qualité et les graines d’autres espèces servent à nourrir les oiseaux, la volaille ou le bétail.
D’autres usages pourraient se développer en lien avec la production d’énergie (bioéthanol, biogaz, hydrogène) ou de biomatériaux, pour lesquels le sorgho et le mil perlé présentent des propriétés particulièrement intéressantes. Cependant, leur développement nécessite des analyses fines de la durabilité dans ses multiples dimensions et la compétition pour l’usage des terres (entre production alimentaire ou non) est aussi à prendre en compte.
Les mils présentent l’avantage de produire dans des conditions écologiques contraintes. Ce sont des plantes rustiques, résistantes aux maladies, adaptées à des sols pauvres, à la chaleur et à de faibles précipitations, et dont certaines sont capables de pousser en altitude (teff, éleusine). Ils sont traditionnellement utilisés dans des systèmes de cultures en association avec des légumineuses, permettant une meilleure gestion de la fertilité des sols. Ces avantages font des mils des alliés de la transition agroécologique, à l’heure où l’agriculture doit se réinventer en misant davantage sur les mécanismes de régulation naturels plutôt que sur l’apport d’intrants.
Comment affirmer le potentiel des mils ?
Un premier défi consiste à améliorer les systèmes de production vivriers à base de mil pour augmenter les rendements et réduire l’insécurité alimentaire des familles qui en dépendent. Cela passe notamment par l’amélioration variétale et un accès à des semences de qualité ; la mise au point de moyens de lutte contre les pressions biotiques ; une meilleure gestion de la fertilité des sols ; le développement de la petite mécanisation ; l’accès au crédit pour les agriculteurs.
Un second défi consiste à améliorer les procédés de séchage, de stockage et de transformation et la qualité des produits issus des mils. Le développement d’unités de transformation avec un approvisionnement fiable et la mise sur le marché d’une gamme élargie de produits « prêts à cuisiner », offrant une qualité et une durée de conservation garanties, associés à des campagnes de communication valorisant l’image des mils, devraient permettre de stimuler la demande, notamment en milieu urbain, et ainsi de reconquérir des marchés actuellement occupés par des produits importés.
Essentiellement vivrières, les cultures de mils ne bénéficient pas à l’heure actuelle d’interprofessions structurées à l’instar des cultures de rente. Un troisième défi consiste donc à mieux coordonner tous les acteurs intervenant au sein de la filière, y compris au niveau de la recherche et des politiques publiques, afin de faire circuler l’information et de faciliter l’accès à la formation, aux équipements et aux financements ; conditions nécessaires à l’émergence, l’adaptation et l’adoption d’innovations.
Les mils représentent des cultures clés pour la sécurité et la souveraineté alimentaires des zones semi-arides et ce sont aussi des candidats pour accompagner la transition écologique et la diversification des systèmes de cultures dans les pays tempérés et développés. Ils méritent donc des synergies plus affirmées entre les partenaires de la recherche et du développement du Nord et du Sud.
Parions que 2023, déclarée année internationale du mil par les Nations unies et notamment la prochaine conférence internationale sur le sorgho qui se tiendra à Montpellier en juin 2023 pourront jouer comme autant de catalyseurs de ces dynamiques.
Cet article est publié dans le cadre de l’année internationale du Mil. Son auteur principal, David Pot, conduit ses recherches au sein du Cirad, membre d’Agropolis International.
David Pot, Plant Geneticist, Cirad; Emmanuel Njukwe, Directeur de la recherche et de l’innovation, Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (Coraf); Jean-François Rami, Chercheur en génétique et amélioration des plantes, Cirad; Julie Dusserre, chercheuse en écophysiologie, Cirad et Ousmane Ndoye, Coordonnateur de projets, Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (Coraf)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo couv: pixabay