Jocelyne Yalenios, Université de Strasbourg; Aline Pereira Pündrich, Université de Strasbourg et Babak Mehmanpazir, Université de Strasbourg
Contrairement aux idées reçues, la méditation pleine conscience (MPC) pour les dirigeants et managers ne les conduit ni à se relaxer, ni à se centrer égoïstement sur eux. Elle ouvre au contraire leur attention à leurs collaborateurs, leur fait prendre conscience des enjeux climatiques et prendre des décisions pour contribuer au bien commun.
Ce sont les premiers résultats d’une étude menée sur le développement d’un état d’esprit durable chez 11 leaders ayant participé à un programme de formation expérientielle fondée sur la MPC développé au sein d’un diplôme universitaire ; et qui ont été présentés au mois de janvier dernier, dans le cadre des journées organisées à Rennes sur le thème des « Sens, non-sens et contresens de l’enseignement du management : comment former des managers davantage incarnés et plus soucieux de l’éthique ».
La pratique de méditation pleine conscience est pourtant surtout reconnue pour ses effets sur la réduction du stress avec notamment le protocole MBSR (mindfulness-based stress reduction) développé par le professeur émérite américain de médecine Jon Kabat-Zinn qui s’est inspiré, en les sécularisant, des principes bouddhistes de la méditation. Depuis quelques années, la méditation pleine conscience est également mobilisée dans les programmes de développement du leadership, cette capacité à influencer et entraîner les autres dans l’action.
Cette pratique s’appuie sur un ensemble d’exercices et de techniques permettant de centrer l’attention sur l’expérience du moment présent, dans une attitude de non-jugement avec une attention portée sur le « monde intérieur et extérieur », selon les termes de Jon Kabat-Zinn.
« Une joie qui crée de l’envie »
Dans le contexte de la formation expérientielle qui a fait l’objet de notre étude, fondée sur une observation participante et des entretiens, l’enjeu de la méditation pleine conscience était de favoriser chez les participants le développement d’un état d’esprit de durabilité (EED), ou « sustainability mindset », afin qu’ils s’engagent dans des pratiques socialement responsables.
Les entretiens ont été menés dans les six mois qui ont suivi la fin de leur formation afin de prendre en compte les évolutions des participants dans leur rôle de dirigeants au sein de leurs organisations respectives et de pouvoir ainsi observer les conséquences d’une posture plus socialement responsable de leur part (c’est-à-dire des changements en termes de comportement, de prise de conscience, d’engagement, d’interaction avec les parties prenantes, etc.).
Les résultats révèlent trois niveaux à travers lesquels la méditation pleine conscience peut favoriser le développement d’un état d’esprit de durabilité chez les leaders : un niveau individuel, qui inclut leurs émotions et leurs ressentis corporels ; un niveau interpersonnel et organisationnel, qui englobe une réflexion sur leur propre rôle de leader et leurs relations avec les autres ; et un niveau sociétal, qui se traduit notamment par un leadership soucieux de contribuer au bien de l’ensemble.
« Changement de paradigme »
Le premier niveau concerne le regard que le participant porte sur lui-même avec des transformations relatives à l’émergence d’émotions et de ressentis nouveaux dans le quotidien
Dans les entretiens, plusieurs répondants soulignent l’importance des émotions, comme ce directeur administratif et financier d’un groupe de laboratoires d’analyses médicales, qui évoque un retour de la joie dans sa vie, et qui soutient l’énergie qu’il déploie dans ses projets personnels et professionnels. Comme l’explique la personne interviewée :
« Je suis de nouveau arrivé à insuffler de la joie dans mon quotidien, ce qui me donne une pêche pour faire bouger les choses. Et ça, c’est une joie qui crée de l’envie ».
Ces prises de conscience initiées d’abord à un niveau personnel ont eu des effets dans une pratique managériale qui insiste sur l’importance de prendre soin de soi et des autres, ce qui correspond au deuxième niveau. Un participant en témoigne :
« [J’ai pu] découvrir que c’était important de prendre soin de soi et que c’était le préalable pour être capable de prendre soin des autres. »
Une autre participante, médecin responsable d’un service de réanimation au sein d’un CHU, abonde dans le même sens :
« [La formation a favorisé] un changement de paradigme de réflexion sur comment on fait ou comment on avance sur les projets ; cela m’a conduit à travailler de manière différente, à être moins la locomotive et le moteur. »
Enfin, le troisième niveau fait référence aux décisions et/ou actions de changement dans l’organisation qui ont pu être déclenchées en fonction des expériences personnelles vécues par le leader, tel qu’illustré par un directeur administratif et financier qui a pris part à l’étude :
« On a monté une formation […] pour que les gens apprennent à prendre soin d’eux-mêmes et découvrent un certain nombre d’outils, de méthodes, d’approches et s’ouvrir un petit peu les yeux, sortir de ses routines habituelles, se rendre compte déjà de ces routines et de voir qu’il y a des moyens d’en échapper. »
Cette prise de conscience des enjeux sociétaux ressort nettement dans les témoignages, à l’image de celui d’une leader dans la commercialisation de dispositifs médicaux :
« Mes transformations ont vraiment été de l’ordre de prise de conscience environnementale, chez moi, très forte. C’était un sujet que je connaissais, mais je dirais ‘comme tout le monde’, et qui a pris une place et une mesure tout à fait nouvelles dans le cadre de la formation. »
Ces premiers résultats invitent à poursuivre la réflexion sur l’importance de prendre en compte non seulement la dimension intellectuelle mais également celle corporelle des ressentis et des émotions dans les processus d’apprentissage. Les dispositifs de formation expérientielle qui associent des activités collectives à des expériences individuelles, incluant la réflexion et la contemplation, restent rares.
Ils semblent en effet ouvrir une voie d’enseignement et de recherche prometteuse pour aller plus loin dans la formation de l’action éthique des leaders à l’aide de dispositifs de formation expérientielle qui favorisent des remises en question de leur manière d’agir voire d’être.
Jocelyne Yalenios, Enseignant-chercheur en Management/RH, Université de Strasbourg; Aline Pereira Pündrich, Enseignante-chercheure en management, Université de Strasbourg et Babak Mehmanpazir, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: depositphotos.com