Au commencement de la pandémie Covid-19, l’attention s’est focalisée sur les plus âgés, qui ont fait l’objet de toutes les préoccupations – et pour cause : les personnes de plus de 65 ans comptent parmi les plus susceptibles de développer de graves complications suite à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2, complications qui peuvent aller jusqu’au décès.

Il n’a toutefois pas fallu longtemps pour que les médias et les spécialistes en santé publique s’intéressent au sort des jeunes adultes : la plupart des représentations véhiculées durant l’été les tenaient pour des « propagateurs du virus », largement responsables de la survenue de la deuxième vague de Covid-19. Ces représentations les dépeignaient comme des personnes négligentes, irresponsables et traitant par le dédain les mesures d’encadrement destinées à préserver la santé publique comme des risques liés à la Covid-19.

En tant que chercheur·e·s en sciences sociales travaillant à la fois au Canada et en France, nous sommes profondément préoccupés par ces représentations, qui ne tiennent compte ni des expériences vécues par les jeunes adultes, ni de leurs véritables pratiques et attitudes à l’égard de la Covid-19. Plus grave encore : elles ont contribué à faire circuler des idées fausses sur le réel impact de l’épidémie sur cette catégorie de la population, qui paie elle aussi un lourd tribut.

Des représentations trompeuses

Au début de la pandémie, des photos de jeunes prises sur les plages de Floride pendant le célèbre « spring break » propice aux excès ont fait la une des journaux. Pourtant, ce type de représentations, qui tend à mettre l’accent sur les expériences de ceux qui ont délibérément violé les mesures de santé publique pour s’amuser, peuvent être très trompeuses.

Au cours de l’été, nous avons mené au Canada une enquête auprès de plus de 500 personnes appartenant à des minorités sexuelles et de genre. Les résultats de ces travaux contredisent les représentations qui suggèrent que les jeunes adultes sont irresponsables face à l’épidémie : plus de 90 % des répondants de moins de 30 ans ont en effet déclaré pratiquer la distanciation physique et porter un masque – des résultats qui sont cohérents avec les données recueillies dans d’autres pays, notamment la Suisse et les États-Unis.

Des jeunes portant des masques dans une rue pavée.Des jeunes à Strasbourg, dans l’est de la France, portant des masques le 11 septembre 2020. Plus de 90 % des répondants à l’enquête âgés de moins de 30 ans ont déclaré pratiquer la distanciation physique et porter un masque. Jean‑Francois Badias/AP

Dans ce dernier pays, des travaux récents ont révélé que dès lors qu’il s’agit de protéger les personnes qui risquent de développer des formes sévères de Covid-19, les jeunes adultes éprouvent un profond sentiment de responsabilité. Celui-ci concerne non seulement les membres de leur cercle familial, mais aussi, plus largement, ceux de leur communauté (par exemple les personnes croisées à l’épicerie du quartier).

En France, des données d’enquête révèlent que les jeunes adultes sont fortement respectueux des mesures d’hygiène telles que le lavage des mains, et portent le masque. Certaines données françaises révèlent des tendances moins optimales en contexte épidémique (on constate notamment que la probabilité de respecter les directives en matière de distanciation physique décroit), il est important de souligner que lesdites tendances ne se retrouvent pas seulement chez les jeunes, mais qu’elles concernent toutes les tranches d’âge.

Impact social, sanitaire et économique

Nous savons que la pandémie a – et continuera d’avoir – des effets sur le bien-être des jeunes adultes, qu’il soit social, sanitaire ou encore économique, et ce tant à court qu’à long terme. L’incertitude économique engendrée par la pandémie de Covid-19 pose des questions très concrètes concernant le devenir de la génération de jeunes actuelle, notamment en matière de sécurité de l’emploi et d’indépendance économique. Certains devront par exemple lutter pour subvenir à leurs besoins quotidiens tels que la nourriture, l’éducation et le loyer, alors que les conséquences économiques des confinements et des couvre-feux leur auront fait perdre leur emploi ou les auront privés de la possibilité de commencer ou de poursuivre des études supérieures.

La pandémie est également à l’origine d’un niveau élevé de stress psychologique, qui est ressenti de façon particulièrement aiguë par les jeunes adultes : des données récentes indiquent que les symptômes de détresse psychologique sont plus élevés au sein de jeunes générations que dans les générations plus âgées.

Malheureusement, cette aggravation du stress psychologique survient dans un contexte où l’accès aux soins de santé est rendu de plus en plus difficile par l’épidémie de Covid-19. Le premier confinement du printemps a donné lieu à des mises en suspens de consultations qui ont donné lieu à des retards dans la prise en charge. La deuxième vague de Covid-19 survenue cet automne a perturbé à nouveau les services de santé, centrés sur la gestion du Covid-19. Cette situation aura certainement un impact disproportionné sur les jeunes adultes déjà confrontés à la marginalisation et à l’exclusion sociale, notamment ceux qui font partie de minorités sexuelles et de genre, ceux qui sont à la rue, ou les jeunes racialisés.

Récolter des données pour adapter les politiques de santé publique

Pour mieux comprendre comment les jeunes adultes vivent les mesures de santé publique mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19, nous avons récemment lancé une enquête en ligne visant à recueillir les réponses de 5 000 participants, en France et au Canada, d’ici le 23 décembre 2020. Nous avons également entrepris de mener un travail de terrain qualitatif consistant à interroger 60 jeunes adultes sur leurs perceptions et leurs expériences en lien avec la pandémie et la « nouvelle normalité » qui en a résulté, dans quatre villes différentes (Vancouver, Montréal, Bordeaux et Paris).

Nous espérons que cette recherche, qui donnera la parole aux jeunes adultes, permettra de produire des données scientifiques sur lesquelles pourront s’appuyer les principaux organismes de recherche, de santé et les décideurs politiques (avec lesquels nous travaillons étroitement) pour concevoir des stratégies adaptées à chaque phase de la pandémie, afin d’accroître le bien-être de cette catégorie de la population et de prendre en compte leurs besoins.

Les jeunes adultes ont été fortement touchés par la pandémie et ces conséquences sanitaires, sociales et économiques ces derniers mois. Au lieu de les stigmatiser, donnons-leur la parole et cherchons comment améliorer leur situation afin que la pandémie ait le moins d’impact délétère sur leurs trajectoires et leur avenir. Dans le monde post-Covid-19 qui nous attend une fois que nous aurons réussi à maîtriser la pandémie, cela bénéficiera à tous.


Pour aller plus loin : Le site de l’observatoire France-Canada FOCUS.The Conversation

Rod Knight, Assistant Professor, Department of Medicine, University of British Columbia; Marie Jauffret-Roustide, Research Fellow, Inserm; Naseeb Bolduc, Research Coordinator, BC Centre on Substance Use, University of British Columbia et Pierre-julien Coulaud, Post-doctoral research fellow, Department of Medicine, University of British Columbia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: © BELGA