Je me convaincs nuit et jour que ma fille est tellement forte, qu’il n’y a aucune autre possibilité que la prise de la greffe. 

Je suis maman. Maman d’une enfant leucémique. Je suis l’interlocuteur des médecins. Je traduis pour ma fille. Je traduis pour mes proches. Inlassablement. Je donne des nouvelles. J’oublie d’en donner, aussi. Je décrypte les besoins de ma fille et subis ses humeurs. Je suis celle qui s’excuse de son caractère auprès des soignants. Je suis la cuisinière de pâtes ou de crêpes ou de gâteaux à 22h. La dénicheuse de trucs à manger « propres » en supermarché.

Je gronde ma fille enfermée depuis des semaines parce qu’elle n’est pas polie. Je me fais confisquer le moindre objet que je prends en main par ma fille si c’est pour faire autre chose que jouer avec elle ou la regarder jouer. Oui je suis un peu tyrannisée, mais oui je le veux bien.

Je suis pourtant celle qui doit continuer un semblant d’éducation. Celle qui a peur plus que tout mais qui ne doit rien montrer. Je réponds quasiment chaque soir au besoin de ma fille de parler de sa maladie. Avec des mots simples. Sans mentir. Je dois dire à ma fille que oui, sa maladie peut revenir. Que non, on n’est pas toujours plus forts mais qu’on fera tout pour. Je dois aussi lui avouer que je ne sais pas pourquoi parfois on est malade.

Je suis la maman qui a l’enfant cancéreuse qui n’a pas fait sa rentrée. Qui a emmené des photos de ma fille avant et après pour expliquer à ses copains qu’elle ne connait pas pourquoi elle n’est pas encore là. Je suis chaque jour un peu la maîtresse d’école. J’apprends la patience, l’astuce. Je négocie pour sortir faire pipi et j’ai le cœur déchiré de laisser ma fille dormir seule. Mais j’apprécie tellement ne pas venir à l’hôpital et du coup je culpabilise.

Je suis celle qui angoisse en lisant les risques liés au traitement, à la greffe. Mais je me convaincs de me dire que tant qu’elle est en vie, la stérilité ce n’est pas « si » grave. Et qu’un autre cancer n’arrivera pas, qu’on a assez subi les mauvaises statistiques. Je me convaincs nuit et jour que ma fille est tellement forte, qu’il n’y a aucune autre possibilité que la prise de la greffe.

Je suis la fille de 28 ans qui a dû s’arrêter de travailler des mois. Qui a du mal à reprendre. Dont les dépenses ont changé. Je fais des projets et puis je dois annuler. Je ne pense plus aux prochaines vacances. Je me demande chaque jour pourquoi. Je regrette chaque jour le « avant ». Je ne sais plus la tête qu’a ma fille avec des cheveux. J’ai si hâte de sentir les miens chatouiller ma nuque, et surtout de coiffer les siens.

J’essaie de me maquiller de nouveau tous les jours et je me force à enfiler de beaux habits. J’ai des rides. Des cernes. Je mange mal. Je dors mal. J’ai acquis du nouveau vocabulaire. J’ai côtoyé la mort d’enfants. J’ai le bide troué rien que d’y penser. Je ne me reconnais plus.

Je suis accompagnante.

Ce billet est également publié sur le blog Les photos d’Alicia.

ALICIA ANDRES

Alicia Andres Maman, photographe et auteure du blog Les photos d’Alicia

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