Grasse (France) (AFP) – À Grasse, berceau mondial de la parfumerie sur la Côte d’Azur, la rose de mai est en fleurs, mais dans les champs, « bosser avec un masque et ne pas la sentir, c’est un peu frustrant! ».
Propriétaire du Domaine de Manon, partenaire de la maison de luxe Dior, Carole Biancalana a imposé le masque à la demi-douzaine de saisonniers qui récoltent, coronavirus oblige. Elle ne manque pourtant pas d’adjectifs pour décrire l’arôme « complexe, multiple et varié » de la rose centifolia, variété éphémère à la tige si frêle qu’elle n’a pas de tenue en vase. « On est entre le miel, l’épice, l’agrume, le litchi, c’est un parfum en soi », dit-elle.
Après deux mois de confinement et un silence propice à l’écoute du bourdonnement des abeilles, la cueillette a commencé il y a huit jours, au gré de la météo, et se fait pour la première fois avec nombre de précautions sanitaires.
« D’habitude, chacun prend un tablier indifférencié, on s’entraide et on cueille par rangée, l’un en face de l’autre, ça papote et c’est sympa », relève Mme Biancalana.
Mais cette année, chaque cueilleur travaille seul sur sa rangée.
Moins physique que le jasmin dont les récolteurs démarrent à l’aube et travaillent courbés, la cueillette de la rose centifolia ou rose à cent-feuilles, embauche vers 09h00. Tout cesse impérativement avant 13h00 quand le soleil tape trop fort.
C’est une question de température et de chimie de la plante: « On est +timés+. La rose a des molécules odorantes qui fonctionnent à certaines heures », explique à l’AFP Vincent Rossi, 26 ans, l’un des plus jeunes ouvriers cueilleurs.
« Rapidité, dextérité et délicatesse: il faut cueillir sans casser les boutons des prochains jours », ajoute Mme Biancalana.
Longue natte blonde et dix doigts experts qui coupent à toute vitesse, une cueilleuse qui préfère taire son nom souligne: « On ne tire jamais sur les tiges… On laisse s’envoler les abeilles… »
Le seul outil de cueillette est la main: « Le but est de ne pas toucher le coeur de la rose. On l’attrape comme ça, juste sous le pédoncule et hop, on lui tord le cou! », montre Vincent.
Cette année, chacun a son propre sac en toile de jute identifié par un ruban de couleur, afin de garder les distance: champagne pour Blanche, orange pour Michel… Au camion, une seule personne est préposée pour livrer à l’usine Robertet où les pétales atterrissent dans des cuves d’extraction.
Carole est l’héritière de trois hectares cultivés en famille. Elle loue aussi une parcelle sanctuarisée grâce à un plan révisé de la commune en faveur des plantes à parfum.
Grasse a été inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2018 pour ses savoir-faire liés au parfum.
Mais pour les horticulteurs, il est difficile d’acheter du terrain dans ce secteur de la Côte d’Azur, recherché et en manque de logements.
« C’est minimum 30 euros le m2. Avant de rentabiliser ça, avec tous les autres investissements, c’est compliqué », dit Carole Biancalana, membre fondatrice de l’association des « Fleurs d’exception du pays de Grasse ».
Son ennemi n°1, la grêle. Sa botte secrète, le partenariat avec la maison Dior (groupe LVMH) qui lui assure un revenu garanti en échange d’un cahier des charges.
« L’achat du foncier, c’est quasiment hors de portée », confirme Morgane Russo, cueilleuse stagiaire qui envisage l’installation après un début de carrière d’ingénieur agronome à travers le monde.
Elle a des égratignures aux avant-bras, souvenir non pas d’une rose, mais des bigaradiers, ces orangers dont la cueillette vient de s’achever autour de la ville de Vallauris. La fleur entre dans la composition du néroli, un fixateur naturel en parfumerie.
Avec le confinement, là aussi, « ça n’a pas été simple », confie Guillaume Gillet, directeur de la coopérative du Nerolium, partenaire de la famille industrielle Mul et de la maison Chanel. Les « apporteurs » de fleurs étaient inquiets pour se déplacer.
Comme pour la rose, le prix payé aux horticulteurs pour le bigaradier reste secret et la préoccupation est de replanter pour récolter davantage.
« Cette année, on dépasse les cinq tonnes, contre quatre l’an dernier », confie M. Gillet. Bien peu comparé au tonnage colossal d’il y a cent ans: Grasse récolte dix fois moins de rose et Vallauris 400 fois moins.
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