Depuis 1790, la distribution de l’eau fait partie des compétences communales dans le système français de gestion de la ressource en eau. Reposant sur une approche privilégiant les aspects techniques de la ressource, la gestion de l’eau en Nouvelle-Calédonie présente néanmoins quelques particularités qui lui sont propres.
En fonction du statut du foncier sur lequel s’écoule la ressource, l’eau dépend de cadres juridiques différents, dont celui de la Coutume.
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Une gestion de l’eau en situation d’interculturalité
En Nouvelle-Calédonie, des recherches sont actuellement menées pour identifier les continuités et les ruptures des modes de gestion de l’eau sur les terres coutumières, qu’ils soient formels ou informels.
De l’histoire ancienne à nos jours, des représentations mélanésiennes à l’appréhension techniciste de l’eau, cet article met en lumière quelques éléments de coutume qui influencent la gestion de l’eau, et la manière dont les relations entre les hommes, les techniques et la ressource ont façonné et façonnent encore cette gestion.
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À partir de l’étude ethnographique de deux communes calédoniennes, il montre l’importance des positionalités (différents rôles sociaux d’un individu) des acteurs de la gestion de l’eau, ainsi que le lien entre cette gestion et l’espace dans lequel elle s’opère.
Une pratique millénaire
D’après les travaux archéologiques menés sur l’île, l’eau aurait été maîtrisée il y a des millénaires pour l’irrigation des tarodières en terrasses. Ces grands ouvrages agricoles sophistiqués font appel à des savoirs locaux et à des représentations qui perdurent jusqu’à nos jours.
A. Saussol, l’Héritage
Déviée en amont d’un cours d’eau par un système de barrage en pierres, l’eau circulait ensuite dans des canaux creusés dans la terre. Le but était d’irriguer les cultures de taros organisées en escaliers dans les pentes.
Fond de carte Georep et adaptation Delphine Coulange, Author provided
Seuls certains Kanaks (peuple premier de Nouvelle-Calédonie) étaient légitimes à endosser les rôles coutumiers pour s’occuper de ce système d’irrigation, et/ou pour trouver les sources.
Le concept de « positionalité » pour parler des acteurs de la gestion de l’eau sur terres coutumières
Les parallèles techniques entre les modalités actuelles de distribution de l’eau potable dans les tribus étudiées et celui de l’eau d’irrigation des tarodières sont nombreux.
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L’écoulement de l’eau se fait en gravitaire, et les prises d’eau superficielles sont privilégiées. Avec des réservoirs aujourd’hui, ou des bassins à l’époque, l’eau est stockée avant d’être envoyée vers les parcelles et/ou les habitations.
Officiellement et traditionnellement, des individus précis sont chargés d’entretenir ces réseaux d’eau. Ici, le concept de « positionalité » permet de définir les dimensions sociale, coutumière et professionnelle de l’individu responsable de la gestion de l’eau. Traditionnellement et de manière informelle, ces acteurs sont choisis parmi les clans terriens, donc en fonction de leur nom et du lieu d’où ils viennent.
Formellement, ce sont des professionnels affiliés soit aux services de l’eau des mairies, soit à des entreprises privées selon le mode de gestion choisi par la mairie. Lorsque l’individu est autant légitime dans sa profession que dans son rôle coutumier, cela renforce la légitimité d’exercer sa fonction, son rôle. Les statuts professionnels et coutumiers s’articulent alors et fluidifient la gestion locale de l’eau.
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À l’inverse, des positionalités en « conflit » peuvent générer des difficultés de gestion.
L’influence du territoire sur la définition des « positionalités »
De la même manière que le rôle coutumier engage la légitimité d’un individu à gérer la ressource, le territoire circonscrit spatialement cette légitimité. Les rôles coutumiers sont associés à des noms de clans qui dépendent de lieux-dits spécifiques. L’individu, sorti de son territoire, ne peut exercer toutes les dimensions de son rôle.
Très micro-localisés, ces lieux déterminent l’identité kanak, puisque les clans se considèrent comme appartenant à ces lieux. La terre ne se possède pas, c’est elle et les ancêtres qui s’y trouvent qui possèdent les individus. L’eau se fraye ainsi un chemin sur les terres qui appartiennent aux ancêtres, elle est considérée comme « locataire de la terre » d’où elle jaillit et sur laquelle elle circule.
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Une Politique de l’Eau Partagée (PEP)
Depuis 2018 et la mise en construction de la PEP de la Nouvelle-Calédonie, l’idée principale est de répondre à la fois aux impératifs environnementaux et sanitaires mais également de respecter les représentations et usages culturels variés de l’eau. Le lien qui unit l’homme kanak à la ressource est au cœur des questionnements en cours.
En prévision des aléas climatiques, et au vu de la répartition inégale de la ressource sur le territoire, les enjeux prioritaires sont la protection et la distribution équitable de la ressource en eau, dans le respect des modes de gestion et des spécificités locales.
Delphine Coulange, Anthropologue, Équipe Territoires, Acteurs et Usages (TERAU), Institut agronomique néo-calédonien; Caroline Lejars, Agro-économiste, UMR Gestion de l’eau, Acteurs, Usages (UMR G-EAU), Cirad et Séverine Bouard, Géographe, Équipe Territoires, Acteurs et Usages (TERAU), Institut agronomique néo-calédonien
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
crédit photo: Affluent de la Hienghène utilisé pour l’irrigation de tarodières traditionnelles cultivées en terrasses. Marine Pizette/IAC, Author provided