La vue d’un carré de chocolat ou plus généralement d’une sucrerie provoque chez certains l’envie, voire un besoin irrésistible de le consommer. Ce phénomène s’explique, en partie, par l’activation du circuit cérébral de la récompense.
Que se passe-t-il dans notre cerveau, et comment se fait le glissement vers l’addiction ?
Les mécanismes du plaisir
Pancrat/Wikimedia
La première fois que nous avons dégusté un carré de chocolat, les régions du cerveau impliquées dans le système de la récompense (il s’agit essentiellement de l’aire tegmentale ventrale et du noyau accumbens) ont été activées. Ce système, que nous partageons avec de nombreux mammifères, a pour objectif de maintenir notre équilibre global, aussi appelé « l’homéostasie ». Il nous pousse à nous livrer aux activités essentielles au bon fonctionnement notre organisme, telle que manger ou dormir.
L’activation du circuit de la récompense aboutit à la libération finale de dopamine, le messager chimique du plaisir. Cette libération de dopamine aide à mémoriser le stimulus agréable. C’est ce qui nous amène à répéter un comportement nous procurant du plaisir. On parle de renforcement positif : je mange un carré de chocolat, j’y prends du plaisir, mon cerveau le mémorise. Les fois suivantes, le système de récompense s’active immédiatement à la vue du chocolat, avant même que je ne l’ai mis dans ma bouche. À sa vue, j’ai envie d’en manger à nouveau : je suis « conditionné ».
Outre le circuit archaïque de la récompense (j’ai faim, je mange), trois autres circuits cérébraux s’activent lorsque des récompenses naturelles : le circuit de la mémoire et de l’apprentissage, le circuit de la motivation (qui influe sur l’engagement d’une personne pour une activité donnée) et le circuit du contrôle, qui permet de répondre de manière adaptée aux situations sociales.
Si le plaisir correspond à l’expérience de la récompense, l’espérance de cette récompense correspond probablement au désir. Mais nous avons besoin d’aller jusqu’à la satisfaction du plaisir pour que le renforcement positif soit maintenu.
Par ailleurs, l’être humain n’est pas uniquement motivé par son appétit : il est également sensible à des stimuli plus complexes, tels que l’art ou la musique. Il a ainsi été démontré que la contemplation d’un tableau ou l’écoute d’un morceau de musique, quel que soit le style, peuvent stimuler eux aussi le circuit de la récompense. Ces stimuli étant moins innés, car peu essentiels à notre survie, ils sont plus sensibles à l’apprentissage.
Quand le système s’emballe : du plaisir à l’addiction
Le circuit de la récompense a été découvert dans les années 50 par James Olds, psychologue et neuroscientifique américain, et Peter Milner, neuroscientifique canadien. Les deux chercheurs avaient implanté des électrodes dans le noyau accumbens du cerveau d’un rat. En appuyant sur un levier, le rat pouvait stimuler lui-même la région de son cerveau impliquée dans le circuit de récompense. Résultat : le rat s’auto-stimulait sans arrêt, ne prenant même plus le temps de manger.
Autrement dit, la stimulation directe de ce circuit était tellement puissante qu’elle devenait contre-productive, puisque l’animal en oubliait ses besoins fondamentaux. C’est sur ce principe que fonctionnent les drogues, qu’elles soient licites (tabac, alcool) ou illicites (cocaïne, opioïdes tels que l’héroïne…), ou encore certains comportements (jeux de hasard et d’argent…).
Dans un premier temps, ces activités procurent évidemment du plaisir. Mais ensuite, au fur et à mesure de la répétition du comportement, les divers circuits cérébraux impliqués dans ces comportements vont se modifier.
Dans les addictions, ils sont désynchronisés : les circuits de récompense et de mémoire-apprentissage fonctionnent de leur côté, tandis que le circuit de la motivation et celui du contrôle vont fonctionner isolément, chacun dans leur coin en quelque sorte. Cette désynchronisation de la circuiterie cérébrale se traduit par une perte de la motivation et du contrôle, et une recherche de la récompense immédiate, apprise et enregistrée à force de répétition.
Trouver son bon plaisir
Pour éviter de tomber dans le piège de l’addiction tout en continuant à prendre du plaisir au quotidien, plusieurs leviers sont à notre disposition.
En matière d’alimentation, les sucres sont un puissant stimulateur du système de récompense, il faut donc les consommer modérément. L’idée est d’éduquer notre système de récompense en le sensibilisant à d’autres stimulus : la variété, les couleurs, les parfums, les saveurs… Bref, à tous ces plaisirs qui peuvent remplacer le plaisir du sucre. Et n’oublions pas que manger, c’est aussi partager, en famille ou avec des amis, ce qui décuple le plaisir.
L’activité physique est également une source de plaisir bénéfique pour notre santé. Lorsque nous faisons du sport, en particulier lorsque nous pratiquons la course à pied, notre cerveau libère des cannabinoïdes et des endorphines, des molécules sources de bien-être ressenti. Cependant, ce plaisir n’est pas immédiat : il apparait au bout d’un certain délai, généralement de 20 à 30 minutes.
Après le sport, le repos. La grasse matinée est pour beaucoup un petit plaisir qui ne coûte rien. Mais peut-on dormir autant qu’on veut sans risque pour notre santé ? Il n’existe pas vraiment de durée maximum de sommeil « toxique » démontrée. Toutefois, des durées de sommeil élevées, au-delà de 9 heures, sont associées à des pathologies chroniques comme le diabète. L’obésité a aussi été liée à un besoin de sommeil excessif ou à un sommeil non réparateur.
On considère généralement que la durée moyenne de sommeil idéale est entre 7 h et 8 h par nuit. La sexualité est également une source de plaisir à ne pas négliger. Il s’agit d’un bon marqueur de l’état de santé : par exemple, une activité sexuelle régulière est prédictive d’une augmentation de la survie après un infarctus du myocarde.
Dans notre société connectée, les écrans sont devenus une source de plaisir devenue incontournable. Faut-il en limiter l’usage ? Là aussi, l’important est de rester mesuré. On sait, pour les enfants et les adolescents les plus vulnérables, les écrans ne sont pas sans risques. Sédentarité, surpoids, comportements oppositionnels, trouble du sommeil, ou pensée « zapping » les guettent notamment. Il faut être particulièrement attentif avec les adeptes du « multitasking », qui utilisent plusieurs écrans en même temps et ont souvent un temps-écran quotidien important, quoique variable.
À l’inverse, les plaisirs de l’esprit tels que l’art ou la musique sont aussi à expérimenter sans modération. Une étude du British Journal of Psychiatry a par exemple montré que les visites culturelles régulières sont associées à une réduction de 30 % de dépression, et même de 50 % lorsqu’elles ont lieu une fois par mois ou plus.
Boris Hansel, Médecin, Professeur des universités- Praticien hospitalier, Inserm U1148, Faculté de Santé, Université de Paris et Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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