L’urgence sanitaire du coronavirus prend de l’ampleur jour après jour. Elle conduit les autorités autour du monde à prendre des mesures jamais vues jusqu’à présent, et ce alors que d’autres situations urgentes existent par ailleurs ! Mais les dangers cumulés, réels et perçues de l’anthropocène, de la misère, de l’érosion de la biodiversité et du réchauffement climatiques n’ont jamais réussi à mobiliser aussi rapidement les gouvernements…

Un rhinocéros dans la pièce 

La crise du coronavirus révèle bien des contradictions et des paradoxes d’un monde en crise depuis des décennies. Elle interroge sur la manière dont nous réagissons aux événements ? Elle donne l’impression qu’on agit mieux face à un événement exceptionnel imminent que face à des problèmes de fond à résoudre.

En bref, pourquoi la catastrophe appelle à l’action alors qu’une lente dégradation suscite au mieux l’indignation et l’attente ? La réponse à cette question, ajoutée à la manière dont l’intelligence collective y réagira, modèleront le futur des habitants de notre planète.

Nous repensons à ce que dit souvent Mathieu Ricard : « Le futur ne fait pas mal, du moins pas encore. Si on vous dit qu’un rhinocéros va entrer dans la pièce dans trente ans et écrabouiller tout le monde, vous vous dites qu’on verra plus tard. Si on vous dit qu’un rhinocéros va entrer maintenant dans la salle, tout le monde panique et se lève. Nous avons beaucoup de mal à réagir émotionnellement à des événements qui vont se produire dans plusieurs décennies. Nous manquons de considération, et sans doute d’intelligence, pour l’avenir et les générations futures. »

Une maladie grave, mais quid des autres ?

La pandémie de coronavirus est une crise sanitaire grave qui peut entrainer la mort de plus de 2 % des personnes infectées. C’est donc potentiellement une menace de santé de premier ordre. En à peine un trimestre, elle semble avoir changé le monde, ou du moins remis en cause son fonctionnement. Le temps dira si cela est pérenne ou non.

La crainte suscitée par la pandémie justifie amplement les mesures d’exception prises. Sa soudaineté et le fait que la maladie concerne actuellement principalement des pays dits riches font oublier que d’autres maladies bien connues, dont certaines évitables, continuent de tuer des millions de personnes dans les pays en développement. L’Organisation Mondiale de la Ssanté estime ainsi qu’en 2016, 5,6 millions d’enfants de moins de 5 ans, soit 15 000 par jour, sont décédés de maladies dans le monde. Ils vivent en grande partie dans les pays pauvres. En cause : la malnutrition, le paludisme, les diarrhées ou le VIH… Pourtant, plus un de ces décès sur 2 sont « dus à des maladies qui pourraient être évitées ou traitées moyennant des interventions simples et d’un coût abordable ». C’est sans compter sur distance géographique et émotionnelle : la problématique lointaine, traitées de temps à autre dans les médias et qui se résorbe peu à peu grâce au développement n’attire plus l’attention. Cet état de fait banalisé est perçu comme une fatalité…

La pollution de l’air, de l’eau et les changements climatiques sont des problèmes sanitaires bien connues. Mais, il est encore difficile aujourd’hui de leur apporter une réponse satisfaisante en matière de santé publique, sans doute car ces phénomènes sont ancrés dans la durée, moins concentrées, plus éparses, ils n’entrainent pas autant de réaction des autorités, et c’est bien regrettable

Pourtant, la pandémie écologique est bien là puisque l’OMS estimait qu’un décès sur 4 dans le monde est lié à l’environnement. Les citoyens et les gouvernements ne semblent pas encore prêts à agir pour relever ce défi. Alors même que la solution est plutôt simple : réduire nos activités économiques polluantes.

Un laboratoire de l’effondrement ou de la décroissance ?

Et, le tour de force de l’épidémie de coronavirus réside dans l’arrêt ou le nantissement économique subi par nos sociétés. Les premières images de la NASA ont montré son effet positif sur la pollution de l’air en Chine et de nombreux experts estiment que cette crise sanitaire devenue crise économique se répercutera de manière positive sur l’écologie. Ça tombe bien, depuis des années, les scientifiques appellent à de profondes transformations de notre économie pour réduire notre empreinte écologique…

On peut parler d’effondrement, ou de décroissance. Osons aborder ces sujets. Y sommes-nous prêts ? C’était inenvisageable jusque peu, pourtant cela vient de se concrétiser. Les enjeux sont certes différents : ralentir l’économie pour faire face au coronavirus vise in fine à maintenir le système économique actuel qui repose sur la croissance alors que le faire pour le changement climatique impliquerait de radicalement le repenser afin d’en finir avec cette croissance nocive pour l’humain, la planète et la santé.

2 % VS 2°C

Le coronavirus sera peut-être une des premières expériences mondiales vécues par la planète entière… c’est l’occasion de repenser la mondialisation et ce qui nous rend humain, ce qui nous lie. Nous n’avons pas le désir d’opposer macabrement les chiffres, mais si nous parvenons à endiguer le coronavirus pour sauver 2 % de la population mondiale et l’économie, pourquoi ne pas en faire de même pour un climat sous les 2 degrés Celsius l’augmentation des températures, ce qui éviterait de nombreux drames à venir dont des déplacements de populations, des sécheresses et famines et des conflits potentiels ?

La crise pandémique actuelle montre que sortir de la mondialisation est possible, que stopper la machine peut se faire rapidement. Le choc s’encaisse difficilement car nous le subissons plus que nous le choisissons, or la décroissance choisie peut être une opportunité à condition de faire la nécessaire révolution spirituelle dont nous avons besoin. Nous connaissons que trop bien l’absurdité de ce mone où les avions volent à vide au mépris du bon sens écologique et même économique juste pour ne pas perdre des créneaux de décollage. Une des difficultés de l’épreuve traversée par nos contemporains réside dans la vision de ces villes vidées de leurs habitants, ces rues dévitalisées, ces personnes cloîtrées et l’absence de contacts humains. Il serait réducteur d’associer la décroissance à ces visions. Un des spécificités de l’idée de décroissance consiste à accompagner la nécessaire réduction notre empreinte carbone, sans en exclure la richesse immatérielle humaine et la convivialité. Décroître est possible, la crise du coronavirus tend à le montrer. Et la convivialité associée à la sobriété, afin de ne plus répéter nos excès du passé, pourront être les piliers d’un nouveau monde plus durable, plus humains et plus sain.

Yann Arthus-Bertrand
Julien Leprovost

source – crédit photo: pixabay