Autant le mot de conservation est méconnu, autant celui de restauration est perçu comme une évidence positive pour le monument.
Les classements au titre du Patrimoine mondial de l’Unesco, des Monuments Historiques en France, ou de leurs équivalents en Europe (English Heritage Buildings, Baudenkmal, Monumenti nazionali italiani, Patrimonio Cultural de España, biens classés deBelgique/Kulturdenkmal ou Beschermd erfgoed…), montrent combien la « protection » est intégrée par les publics, comme les institutions de chaque pays.
Bruno Phalip, Author provided
De même, face à l’urgence de mise en sécurité, les mesures prises sont pour l’essentiel acceptées, en dépit d’impatiences. Qu’il s’agisse du chœur échafaudé de la cathédrale de Tournai en Belgique ou des parties hautes de Notre-Dame de Paris, le fonctionnement des institutions n’est pas remis en cause.
Débats et institutions
Après de vifs débats, en dépit parfois de volontés contradictoires, les réponses données sont peu critiquées au-delà des cercles de spécialistes. Les institutions patrimoniales du Ministère de la Culture, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, les Monuments Historiques, le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques et les Directions Régionales des Affaires Culturelles, répondent avec pertinence, en apportant des solutions qui tendent au respect des lois (1887, 1909, 1913 et modifications postérieures), des règlements adaptés (paysages, sites, monuments, lieux de culte, mobilier, archéologie…), comme des protocoles (financement, moyens, méthodes, déontologie…).
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Ces choix prévalent pour Notre-Dame en dépit d’un parti interventionniste appelant à l’acceptation d’une « signature architecturale » (toit en verre, flèche en acier, matériaux contemporains et formes novatrices, etc.) présentée comme un gage de modernité devant emporter la décision.
La flèche construite à Notre-Dame par Viollet-le-Duc au XIXe siècle, avant les lois républicaines sur les Monuments historiques, s’est imposée à tous comme une œuvre à part entière. Cependant, une cathédrale n’est pas un musée (pyramide de Ming Pei au Musée du Louvre) ; aussi la raison l’a emporté.
La protection et les règles de la restauration ont ainsi prévalu dans le respect des institutions et lois. Cependant, si la nécessité et la modernité des mesures de restauration (techniques de pointe, matériels et ingénierie, outils numériques, analyses, temps de la recherche des scientifiques associé au temps court du chantier…) sont des évidences à Notre-Dame, elles ne masquent pas les besoins liés à la conservation de milliers d’autres monuments.
Ceux-là ne bénéficient ni de l’émotion, ni des moyens ou des projets, désormais associés au 15 avril 2019. L’incendie récent de l’église de Romilly-la-Puthenaye (Eure) montre les limites de la médiatisation, du mécénat (grilles de Versailles) comme de l’intérêt porté à des édifices aussi importants aux communautés humaines que le plus grand d’entre eux.
Quand la « reconstruction » supplante la « restauration »
Ce faisant, dans le langage courant, pour Notre-Dame, comme pour l’église de Romilly-la-Puthenaye, le mot restauration n’est quasiment plus employé, au profit de reconstruction, ce qui trahit un affaiblissement du sens premier. La restauration – en dépit de limites perçues à Chartres ou au palais des ducs de Bretagne à Nantes – implique des règles débattues, la reconstruction peut s’en affranchir, y compris pour des édifices protégés. Nous devons y prendre garde.
La reconstruction de la tour nord de l’abbatiale de Saint-Denis, les projets de reconstruction des Tuileries ou du château de Saint-Cloud témoignent de ce glissement sémantique et sont habités des mêmes frénésies visant à corriger l’histoire en ayant pour seul avenir un passé érigé au rang du mythe (château de Berlin, Berliner Schloss des Hohenzollern).
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Avant de restaurer, l’entretien patient, respectueux des marques du vieillissement qui affectent le monument, doit être privilégié en vue de sa conservation. Transformés, mais en état ou ruinés, les sites peuvent faire l’objet d’aménagements, de consolidations ou d’interventions encadrées par les préconisations des chartes internationales de la conservation : Athènes en 1931, Venise en 1964, Nara en 1994 ou Cracovie en 2000. Les acteurs de la restauration s’y réfèrent avec la volonté affichée d’en respecter les préconisations (La Chaise-Dieu, Chartres).
Toutefois, en France, comme en Europe, le volontarisme règne, accompagné de fortes interventions à la cathédrale du Puy-en-Velay, Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand, Sainte-Gertrude de Nivelles en Belgique ou la cathédrale Saint-Georges de Limburg an der Lahn en Allemagne. De beaux exemples existent, faisant l’objet d’attentions jalouses, comme la cathédrale de Tournai en Belgique bien documentée et choyée depuis plus de vingt ans, Notre-Dame de Paris depuis deux ans maintenant, ou Angkor Vat au Cambodge depuis trois décennies.
Restaurer n’est sans doute pas toujours préserver
Il faut pourtant en convenir, un siècle et demi de restaurations ne préservent pas les monuments. L’usage inadapté de matériaux et produits contribue à l’accélération des processus d’altération, en se mariant mal avec des pierres, vieilles de deux millénaires pour un monument antique ou parfois d’un millénaire pour le Moyen Âge : cryogénie par microabrasion, hydrogommage avec poudre abrasive, poudres d’alumine ou fine de verre.
L’interaction entre matériaux anciens et neufs est – la plupart du temps – néfaste, ne tenant pas compte de l’équilibre qui s’établit entre le monument vieux de plusieurs siècles, son environnement (climat, paysage, faune et flore) et des chantiers actuels aux techniques industrielles (meuleuses, marteaux pneumatiques, perceuses…).
L’emploi de matériaux denses ou étanches (ciments, produits hydrofuges…) n’autorise plus une « respiration » équilibrée du mur sur le long terme (mortier de chaux, maçonneries ventilées…), mais aussi les nettoyages abrasifs répétés, les traitements polluants (sites, eaux du sous-sol) par biocides (biofilm, végétaux), ou les sols rendus étanches (bitumes…) sont néfastes.
La biodiversité est jugée facteur d’altération pour le monument ; ce n’est pas seulement les cyanobactéries, lichens et mousses qui peuplent les parements depuis le temps de la construction. Les insectes et rongeurs, les oiseaux eux-mêmes sont considérés comme nuisibles, à propos desquels des solutions sont utilisées : des filets visibles en Allemagne à Nuremberg ou encore en Angleterre à Exeter.
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Plusieurs problèmes se posent en plus de la question esthétique ; ces filets abîmés et mal fixés impliquent des frottements du fait de l’action du vent ; ce sont aussi les systèmes électro-répulsifs accrochés aux sculptures et architectures (cathédrale d’Auxerre) avec des fixations métalliques et des colles s’ajoutant aux pics anti-pigeons.
Les marques du vieillissement et la biodiversité sont ainsi bannies au profit de monuments blanchis, aux environnements adaptés à l’économie du tourisme, qui contreviennent aux protocoles prudents préconisant de discrètes interventions. Le plus grand adversaire du monument n’est pas le temps, mais bien l’action humaine de notre époque. La modernité montre ainsi ses limites, dans l’absence de mesure, prudence et affectation des recherches en vue du respect de la biosphère intimement liée au monument depuis des siècles.
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L’avenir ? Ne plus utiliser de biocides, produits consolidants ou hydrofuges ; éviter les nettoyages systématiques. De ce point de vue, les mortiers biologiques et la biominéralisation constituent des indices encourageants (bio-calcins d’Argenton-Château et de Thouars ; LRMH), tout comme le soft caping (couverture végétale) préconisé par les équipes du English Heritage et répandu en Grande-Bretagne. L’immédiateté de mauvaises solutions est à bannir en recherchant d’autres moyens que ceux habituellement préconisés qui aboutissent à une minéralisation outrancière du monument dont les surfaces sont altérées par abrasion et uniformisées.
Pour aller plus loin :
« Restaurer un édifice médiéval, problèmes de méthode. À propos de quelques sites dans le centre de la France et dans le royaume khmer entre le XIe et le XIIIe siècle », in Anne Baud et Gérard Charpentier, Chantiers et matériaux de construction de l’Antiquité à la Révolution industrielle en Orient et en Occident, MOM éditions, 2020, p.245-254
Bruno Phalip et Fabienne Chevallier, Pour une histoire de la restauration, XIXe-début XXe siècles, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2021 (en cours de publication).
Bruno Phalip, Professeur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie du Moyen Âge, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: Moutier-d’Ahun (Creuse) ; granits sculptés au XVe siècle, ancien peuplement de lichens et de mousses. Bruno Phalip, Author provided