Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les jardins communautaires, associatifs, collectifs sont des jardins crées et animés collectivement par des associations d’habitants d’un quartier. Tout en étant ouvert au public, cette forme d’agriculture en milieu urbain qui se pratique parfois sur des terrains laissés à l’abandon, permet à la fois d’améliorer le cadre de vie et de favoriser des échanges entre des personnes d’origine géographique, d’âge et de milieux sociaux différents.

Préserver l’environnement et rétablir le lien homme nature sont parmi les valeurs fortes du jardinage urbain collectif. Les jardiniers choisissent de planter des fruits et légumes de saison les mieux adaptés aux milieux (sol, microclimat) tout en évitant l’usage des produits phytosanitaires chimiques et de synthèse.

La crise sanitaire liée au Covid-19 a posé avec une acuité nouvelle celle de la crise alimentaire et a révélé la grande fragilité du système agro-alimentaire industrialisé dominant en France et en Europe.

Beaucoup interrogent désormais l’accès régulier à une nourriture saine et de qualité. Dans ce contexte, le jardinage urbain porte la promesse d’une nouvelle urbanité. Ces jardins sont aussi des lieux d’apprentissage et de mise en application d’une économie circulaire à l’échelle du territoire comme la récupération des eaux de pluie et le compostage.

Ils sont aussi reconnus comme des lieux d’éducation à l’environnement aux enfants comme aux adultes, aussi bien d’insertion et d’accueil des personnes en situation d’handicap ou des personnes victimes d’exclusion sociale qui renouent avec la motivation du travail collectif.

Une expérience nouvelle liée au passé industriel de Rouen

Dans la ville de Rouen, capitale de la Normandie, et forte de 110 169 habitants, les premiers jardins collectifs datent au début des années 90.

Aujourd’hui, le programme municipal) compte 17 jardins partagés dispersés un peu partout sur le territoire qui sont conçus et entretenus par les associations d’habitants des quartiers.

Pourtant le jardinage collectif urbain n’est pas inscrit dans les coutumes et histoire des habitants de Rouen contrairement à d’autres villes du nord de la France où les jardins familiaux sont un véritable leg du passé industriel.

Carte des jardins partagés à Rouen.Carte des jardins partagés à Rouen. Ville de Rouen, CC BY

Afin de comprendre les enjeux et fonctions des pratiques du jardinage urbain sur le territoire de la ville, nous avons réalisé pendant l’été 2019 une étude de terrain combinant des visites de terrain, des entretiens avec les élus locaux aussi bien qu’une enquête (en cours de parution) auprès des citadins.

Plus de 60% des Rouennais connaissent les jardins partagés

Dans un premier temps nous avons cherché à comprendre le lien que les citadins de la ville de Rouen entretiennent avec les activités de jardinage qu’ils soient collectifs ou individuels.

Lorsque interrogés sur leur connaissance du réseau des jardins partagés de la Ville de Rouen, plus de la moitié des citadins interrogés (60%) affirme connaître déjà ce réseau et ses activités.

Toutefois, seul 35% des répondant affirment pratiquer le jardinage urbain, dont la moitié déclare s’adonner à cette activité au moins une fois par semaine. Nombreux sont ceux qui ont exprimé leur souhait de vouloir y consacrer plus de temps. Parmi les raisons invoquées nous retrouvons le fait de ne pas avoir suffisamment de temps en semaine à cause des impératifs du travail et de la famille.

Pour ces derniers, le jardinage est considéré comme une activité qui se fait en famille quand tout le monde est présent en fin de semaine, ils essaient donc d’y consacrer deux à trois heures le samedi ou le dimanche. Notons que 12% des personnes interrogées affirment s’adonner à cette activité tous les jours et la considèrent comme un véritable moment de détente et de loisir.

Le jardinage est considéré comme une activité qui se fait en famille quand tout le monde est présent en fin de semaine. Jardin de l’Astéroïde. Marie Ben Othmen, Author provided

Dans cette dernière catégorie on retrouve un grand nombre de retraités, de personnes au foyer qui y consacrent au moins une à deux heures par jour. Il est intéressant de noter que dans notre échantillon 28% des répondants qui déclarent pratiquer le jardinage deux à trois fois par semaine sont des étudiants ou des personnes en formation ou en activité partielle. Notons que 50% des personnes interrogées qui déclarent ne pas pratiquer d’activité de jardinage invoquent des raisons de manque d’espace car elles vivent pour la plupart en appartement même si elles pensent que le jardinage est un moyen intéressant pour faire pousser sa nourriture soi-même et pour passer un moment agréable en famille ou avec des amis.

Reprendre le contrôle de son alimentation

Lorsque interrogé sur les motivations sous-tendant leur activité de jardinage urbain les répondants ont en majorité affirmé vouloir faire pousser eux-mêmes leurs fruits et légumes et reprendre le contrôle de leur alimentation. En majorité, les répondants cultivent une logique d’opposition avec l’agriculture conventionnelle et son système industrialisé. Beaucoup s’approvisionnent en majorité chez les biocoop, marché locaux ou AMAP. Pour eux jardiner est une forme d’expression de leur engagement envers l’environnement et une négation de l’agriculture conventionnelle jugée polluante et intensive

En ce sens, jardiner seraient une stratégie d’autosuffisance et d’autonomie alimentaire pour certains fruits et légumes produits sans produits chimiques selon une pratique naturelle et biologique.

Les marchés de producteurs sont particulièrement prisés par les personnes qui s’engagent dans les jardins partagés. Pixabay/MikeGood, CC BY

En effet pour 70% des répondants l’activité du jardinage permet de produire des fruits et légumes qui seraient de saison plus frais et donc meilleurs pour la santé (certains produits peuvent perdre une proportion de leurs vitamines au cours des processus de stockage et transport). En outre, 65% des répondants invoquent des motivations liées à la reconnexion avec la nature et la terre, la détente, et le bien-être que cette activité procure. Les répondants qui vivent en famille avec des enfants mettent en avant le rôle que joue l’activité de jardinage et d’entretien de potager en termes d’éducation et de sensibilisation à la préservation de la nature.

Sensibilité environnementale

Par ailleurs, une dimension de sensibilité environnementale plus globale est invoquée comme une motivation sous-tendant l’activité de jardinage urbain pour 45% des citadins interrogés.

En effet, la préservation de l’environnement et de la biodiversité locale se dégage dans le discours des jardiniers qui souhaitent contribuer à réduire l’effet des kilomètres alimentaires et atténuer celui de l’empreinte carbone générée par les processus de production agricole. Aussi, 35% des répondants disent vouloir soutenir l’économie locale. Le fait de consommer local contribue à créer des emplois et à soutenir l’économie locale et régionale.

Une majorité des jardiniers urbains interrogés témoignent d’une volonté de rupture avec le modèle de l’agriculture conventionnelle. Jardin partagé de l’Ouest. Marie Asma Ben Othmen, Author provided

La motivation de la production alimentaire locale demeure importante pour comprendre le regain d’intérêt des habitants de la ville de Rouen pour l’activité de jardinage urbain qui la perçoivent comme une forme de relocalisation de la production agricole.

Cette vision se répercute aussi dans le comportement d’achat de fruits et légumes de ces citadins.

Consommation des produits alimentaires locaux

Une majorité des jardiniers urbains interrogés témoignent d’une volonté de rupture avec le modèle de l’agriculture conventionnelle et industrialisée. Pour ces derniers jardiner est une forme d’expression de leur engagement envers l’environnement et une négation de l’agriculture conventionnelle jugée polluante et intensive.

A la question « achetez-vous des produits locaux régulièrement ? », les réponses des 78% des jardiniers est positive. En moyenne 56% des répondants évoquent acheter des fruits et légumes localement au moins une fois par semaine. Parmi ces produits achetés on retrouve les légumes en feuilles, les tomates, les pommes de terre, les pommes et les poires.

Les répondants qui déclarent ne pas acheter des produits locaux invoquent en premier lieu le prix qu’ils jugent élevé (65%), des raisons de manque de temps (65%) et un manque d’accessibilité (33%). Par ailleurs, l’engouement à la consommation de produits locaux se répercute dans le budget que ces derniers consacrent à cette dépense ; près de 58% des jardiniers déclarent consacrer entre 20 et 29€ par semaine pour l’achat des produits alimentaires produits localement. Dans ce groupe de répondants on retrouve les catégories socio-professionnelles intermédiaires et supérieures.

Les motivations des répondants relèvent de différentes formes d’engagement envers l’environnement et de prise en main de leur alimentation.

Les citadins de la ville de Rouen sont globalement conscients des bonnes habitudes alimentaires et du respect de l’environnement cela s’explique par le fait que les classes socio-professionnelles intermédiaire et supérieures sont bien représentées dans notre échantillon (64%).

Ces résultats sont en résonances avec ceux retrouvés par Pascale Scheromm dans son étude de l’expérience agricole des citadins dans les jardins collectifs urbain de la ville de Montpellier.

L’expérience rouennaise montre que les jardins collectifs dans les villes deviennent à la fois de véritables lieux de renouvellement de la relation entre la ville et l’agriculture et des pièces maîtresse pour construire une ville durable et fertile.The Conversation

Marie Asma Ben-Othmen, Enseignant-Chercheur en Économie de l’Environnement, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: Préserver l’environnement et rétablir le lien homme nature sont parmi les valeurs fortes du jardinage urbain collectif. Jardin du square Guillaume Lion à Rouen. Maria-Asma Benothmen, Author provided