L’obésité reste l’une des principales causes de maladies cardiovasculaires et de cancers au monde. Malheureusement, sa dangerosité a encore tout récemment été soulignée lorsque le surpoids a été classé parmi les principaux facteurs aggravants des infections à la Covid-19. Afin de lutter contre ce phénomène, les chercheurs se sont longuement penchés sur les quantités et de choix de nourriture que nous ingurgitons.
Ils ont notamment découvert l’existence de raccourcis mentaux qui influencent nos choix. Par exemple, les aliments sont perçus comme plus sains dans des emballages clairs et mats (plutôt que brillants) ou lorsqu’ils sont servis froids plutôt que chauds. Les consommateurs évitent également les produits sains parce qu’ils estiment qu’ils sont plus chers, moins rassasiants et moins savoureux.
Dans notre dernier article académique publié dans le Journal of Consumer Psychology avec Mario Pandelaere (Virginia Tech, États-Unis), nous avons étudié l’influence du poids des aliments sur l’effet perçu sur la santé et sur la consommation. Sur la base de plus de dix études (six reportées dans l’article, quatre en annexes) menées auprès de près de 2 000 consommateurs aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France, nous montrons que les consommateurs pensent que, à portion égale, les ingrédients les plus légers sont plus sains que leurs homologues plus lourds, qui sont perçus comme plus caloriques.
À titre d’exemple, les consommateurs grignotent plus facilement une guimauve qu’un morceau de chocolat de la même taille, parce qu’ils estiment que la guimauve, plus légère, est moins néfaste pour leur santé.
Cela influence également les quantités consommées, avec une tendance à manger davantage d’aliments plus légers, quelle que soit la teneur en calories. Comme les consommateurs s’attendent à ce que les aliments plus sains soient plus légers, ils discréditent aussi les allégations de santé lorsqu’un aliment censé être plus sain pèse plus lourd que d’autres, moins recommandables.
L’ambivalence du mot « light »
Les consommateurs trouvent généralement des versions plus saines de leurs produits habituels avec la mention « allégé » (ou « light ») pour signaler leur caractère sain. Pensez par exemple à la mayonnaise, aux chips ou aux yaourts allégés, ou encore au Coca-Cola light. L’étiquette « light » de ces produits sert à souligner leur faible teneur en calories, graisses ou sodium.
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Toutefois, le terme « light » a également une autre signification plus littérale, qui est celle d’avoir un « poids faible ». Nous nous sommes donc demandé si, lorsqu’un sens du mot est présent à l’esprit des consommateurs (le poids par exemple), l’autre l’est aussi inconsciemment (plus léger en calories, soit plus sain).
Pour tester cela, notre panel a dû se figurer qu’une personne suivait une recette pour préparer 300 grammes de salade César au poulet, équivalent à 400 calories. Après avoir suivi la recette, cette personne se retrouvait soit avec un plat de 250 grammes ou avec un plat de 350 grammes. Les consommateurs devaient ensuite deviner combien de calories contenait la salade finale et indiquer parmi sept paires d’ingrédients ceux que le cuisinier avait le plus probablement utilisés pour préparer sa salade.
Chacune de ces paires contenait un ingrédient sain (par exemple : poulet grillé, bacon sans graisse) et un ingrédient malsain (poulet frit, bacon classique). Lorsque la personne obtenait une salade plus légère en poids que celle prévue dans la recette, les consommateurs pensaient que la salade contenait plus d’ingrédients sains et moins de calories.
Par conséquent, les consommateurs pensent que les aliments plus légers sont plus sains parce qu’ils contiennent moins de calories.
Prêts à payer plus
Nous voulions également vérifier si les consommateurs s’attendent à ce qu’un aliment plus sain pèse moins lourd. Pour cela, les consommateurs de notre panel ont été confrontés à deux gâteaux au chocolat de même taille. Un gâteau au chocolat traditionnel comprenant les ingrédients habituels (du lait entier, du sucre) et une variante plus saine comprenant des ingrédients moins caloriques (du lait écrémé, de la stevia).
Nous leur avons indiqué qu’un gâteau au chocolat de cette taille pesait normalement entre 550 et 650 grammes et nous leur avons demandé d’indiquer le poids du gâteau au chocolat traditionnel ou sain. Les consommateurs s’attendaient à ce que le gâteau au chocolat plus sain pèse moins lourd que le gâteau traditionnel.
De plus, comme les consommateurs pensent que les produits sains pèsent moins lourd que les autres, nous nous sommes intéressés à ce qui se passerait si les consommateurs rencontraient une version plus saine d’un produit pesant plus lourd que sa version « classique ». Il est intéressant de noter que, pour cette étude, nous nous sommes inspirés d’un exemple réel : un pot de mayonnaise Kraft « allégée » pèse plus lourd que le même pot de mayonnaise Kraft ordinaire.
Les résultats de cette étude montrent clairement que, lorsque les personnes interrogées ont remarqué que la mayonnaise allégée pesait plus lourd que la version ordinaire, elles ont moins cru à l’allégation santé sur l’étiquette et ont pensé que la mayonnaise allégée n’était finalement pas si équilibrée.
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Enfin, dans une autre étude, des consommateurs ont été invités à participer à une dégustation de M&M’s. Nous leur avons demandé de tenir brièvement deux bols de M&M’s. L’un des récipients était volontairement plus lourd que l’autre.
Après avoir porté les bols pendant quelques secondes en se rendant à la salle de dégustation, nous leur avons expliqué qu’ils devaient goûter les M&M’s dans chaque bol et trouver celui qui contenait les M&M’s « sains », prétextant que la marque avait lancé une version allégée sur le marché et voulait savoir si les consommateurs seraient capables de noter la différence.
Après la dégustation, la majorité des personnes ont indiqué que les M&M’s du bol le plus léger étaient les plus sains. Les testeurs étaient également prêts à payer plus cher pour les M&M’s du bol le plus léger.
Dans une deuxième partie de l’étude, les consommateurs ont regardé trois bandes-annonces de films et nous leur avons indiqué qu’ils pouvaient consommer plus de M&M’s s’ils le souhaitaient car nous ne pouvions plus les utiliser par la suite. Après avoir quitté la pièce, nous avons mesuré le poids des M&M’s restants dans chaque bol et nous avons remarqué que les gens avaient mangé plus de M&M’s dans le bol léger que dans le bol lourd.
De quoi alimenter les réflexions
Ces résultats apparaissent instructifs pour les fabricants de produits alimentaires dans la conception de leurs articles et emballages. Ils montrent que jouer avec le poids d’un contenant ou d’un emballage peut influencer la perception qu’auront les consommateurs du produit et de son caractère sain, ainsi que leur aptitude à payer cher ou encore les portions qu’ils consommeront.
De plus, lorsqu’un produit allégé est plus lourd que le produit de base, les gens doutent qu’il soit effectivement allégé en calories, comme le montre l’exemple de la mayonnaise Kraft. Par conséquent, les industriels devraient prendre en compte le poids des aliments et de leur emballage afin de s’assurer que les versions saines de leurs produits soient aussi plus légères (en poids), faute de quoi les allégations santé pourraient être vaines.
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En définitive, notre recherche montre que le poids de la nourriture peut être un moyen d’inciter les consommateurs à manger plus sainement. Nos participants ont cru que les M&M’s du bol le plus léger étaient plus sains et de ce fait en ont consommé davantage. Ce constat doit servir de leçon pour les consommateurs qui prennent souvent des décisions inconsidérées s’agissant de leur alimentation.
Comme nous l’avons montré, nos décisions alimentaires sont guidées par de nombreuses croyances infondées (ici que plus léger = plus sain, mais aussi que sain = plus cher, sain = moins rassasiant, etc.). Par conséquent, pour manger plus sain le consommateur doit davantage s’arrêter sur des « critères objectifs » pour évaluer et choisir un produit, tels que la teneur en calories, en nutriments, en vitamines, mais aussi la teneur en graisses et en sucre, etc.
Ainsi, la prochaine fois que vous voudrez grignoter quelque chose et que vous vous apprêterez à prendre des guimauves plutôt que du chocolat parce que ce dernier pèse plus lourd, réfléchissez-y à deux fois et cherchez une information plus objective pour évaluer si votre choix est le bon !
Nico Heuvinck, Assistant Professor in Marketing & Academic Director of the MSc in Digital Marketing & CRM, IÉSEG School of Management et Yi Li, Lecturer in Marketing, Macquarie University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: capture