Ce jeudi plusieurs associations et personnalités réunies par le journaliste militant Hugo Clément ont lancé un RIP, ou Référendum d‘Initiative Partagée, pour la protection des animaux. Six propositions constituent le noyau dur de cette initiative citoyenne inédite. La moitié de ces propositions qui pourraient faire l’objet d’un vote des Françaises et Français concernent la place de l’élevage dans l’économie et la société française : la suppression des élevages pour la fourrure, l’interdiction de l’élevage en cages à l’horizon 2025 et de l’élevage intensif. Cette dernière mesure se matérialiserait d’abord par une interdiction de construction de nouveaux élevages intensifs dès 2025, pour parvenir à une interdiction totale de ce système d’élevage d’ici 2040.
L’association L214, partenaire du RIP, lutte depuis longtemps contre ce modèle d’élevage et pour offrir l’accès au plein–air aux animaux. Entretien avec Brigitte Gothière, porte-parole et directrice de l’association.
Pour quelles raisons interdire l’élevage intensif ?
Ce serait la fin d’un modèle qui n’est bon ni pour les animaux, ni pour les humains, ni pour la planète. Les élevages intensifs sont définis comme les élevages qui ne laissent aucun accès à l’extérieur aux animaux. Aujourd’hui, en France, 80 % des animaux sont élevés dans des bâtiments sans aucun accès à l’extérieur. L’élevage intensif concentre donc un très grand nombre d’animaux dans un minimum d’espace, avec des conséquences multiples. La fin de l’élevage intensif apparaît comme une mesure extrêmement consensuelle auprès de la population.
Quelle est la portée écologique d’une telle mesure ?
Les conséquences environnementales concernent notamment les émissions de gaz à effet de serre, plus élevées du fait de la concentration des animaux, mais aussi la question des algues vertes, ou encore les émissions d’ammoniac… À cela s’ajoute le fait que de tels élevages contribuent à l’importation du soja du Brésil, nous sommes co-responsables de la déforestation en Amérique du Sud.
Interdire les élevages intensifiés peut-il avoir des effets sanitaires ?
Il y a aussi des conséquences en termes sanitaires : dans les élevages intensifs, les animaux ont une faible variabilité génétique. Ils sont reproduits par insémination artificielle pour la plupart, et sont standardisés. C’est par conséquence un excellent incubateur à nouveaux pathogènes, et un bon moyen de propager des virus. Le COVID-19 est arrivé par l’intermédiaire des animaux sauvages, mais les scientifiques sonnent l’alerte au sujet de nouveaux virus qui pourraient venir par l’intermédiaire de l’élevage. Il y en a d’ailleurs déjà eu : la grippe espagnole était une grippe aviaire, par exemple.
Quelle est la position des éleveurs sur une telle mesure ?
Aujourd’hui, beaucoup d’éleveurs attendent un changement de modèle et un certain accompagnement pour pouvoir se sortir de situations qui les rendent malheureux. Ceux que l’on a rencontrés -qui ne sont pas à la tête de syndicats en effet- se disent endettés jusqu’au cou, du fait du modèle productiviste d’élevage intensif. L’endettement moyen d’un éleveur de cochons est d’à peu près 300 000 €. Ils se disent aussi tenus par la coopérative à laquelle ils appartiennent, par les banques auprès desquelles ils ont contracté des prêts. En témoignent le nombre de suicides dans cette profession, Pourtant, quand on parle aux éleveurs, certains ont fait des choix différents et parlent de la relation qu’ils peuvent tisser avec les animaux. Ceux-ci ne sont pas très fiers de les envoyer à l’abattoir. D’autres sont dans l’élevage intensif et se sentent démunis car ils sont conscients qu’ils font vivre un calvaire aux animaux et aimeraient sortir de ce modèle. Quant à eux, les représentants des syndicats, qui sont les promoteurs de l’élevage intensif, ne seront évidemment pas d’accord.
Interdire l’élevage intensif d’ici 2040, est-ce réellement faisable ? Si oui, qui devrait en porter la charge financière ?
2040 paraît en même temps très lointain et très proche… Nous savons pourtant que cela peut aller très rapidement. On l’a vu dans les années 1960 : quand il a été décidé d’industrialiser la Bretagne, cela s’est fait en quelques années. Avec une volonté politique forte, c’est tout à fait possible. Cela va aussi être concomitant à une réduction de notre consommation de produits d’origine animale, or les produits carnés et laitiers émettent beaucoup de gaz à effet de serre. En ce qui concerne le financement, 9 milliards d’euros proviennent chaque année de la PAC pour le secteur agricole. Beaucoup d’argent public est investi, là n’est donc pas le problème.
Concernant cette mesure en particulier, quel est l’intérêt de la soumettre à un référendum d’initiative partagée ?
Justement car nous sommes actuellement coincés au niveau politique. Toutes ces propositions ont été notamment portées au moment de la loi Alimentation en 2018, mais aussi depuis très longtemps. En 2018, cette proposition a été retoquée. Le ministre de l’Agriculture y était complètement opposé. En effet, de notre côté, nous avions de plus en plus d’engagements de la part d’entreprises, y compris de producteurs, à renoncer aux œufs de poules élevées en cage. Pour autant, la proposition a été bloquée au niveau de l’Assemblée Nationale. On constate que les possibilités d’évolution du modèle agricole et alimentaires’avèrent difficiles en raison du lobby de l’agro-industrie. Pour pouvoir en sortir, il faut réussir à montrer que le lobby citoyen est représentatif. Plus de 80 % des personnes sont d’accord avec cette mesure. Ce référendum d’initiative partagée doit permettre de montrer cela.
Propos recueillis par Adèle Tanguy – source – crédit photo: