Avec le retour des beaux jours et la levée des mesures sanitaires liées à la gestion de l’épidémie de la Covid-19, nous devrions être nombreux à retrouver le chemin des plages et du littoral, qui restent parmi les destinations de loisirs préférées des Français. D’autant que la plupart des études scientifiques s’accordent à dire que les risques de contamination à l’extérieur sont nettement moindres que dans les espaces fermés où nous évoluons au quotidien.
Ces signaux positifs ne doivent toutefois pas nous conduire à totalement abaisser notre garde car, derrière ces aspirations bien légitimes, un autre sujet de santé publique se pose : la noyade. Selon l’Organisation mondiale de la santé, il s’agit de la troisième cause de mortalité accidentelle sur la planète. En France, la noyade est responsable d’un millier de décès par an, dont 40 % en milieu maritime.
Se baigner dans un lac, une rivière, ou dans les vagues de l’océan est en effet très différent de la pratique de la natation en piscine. Dans ces milieux naturels, nous nous exposons, souvent sans le savoir, à des risques propres à leur nature même. Parmi ces dangers figurent les courants d’arrachement, trop souvent sous-estimés par les nageurs.
Un danger méconnu : les courants d’arrachement
Observés en divers endroits du globe, les courants d’arrachement (rip current en anglais) sont une cause majeure de noyade sur les littoraux. Ils résultent du reflux, vers le large, de l’eau emmenée par les vagues. Les baigneurs qui s’y retrouvent piégés sont entraînés, et s’épuisent en tentant de rejoindre la plage.
Aux États-Unis, ces courants seraient responsables de près 80 % des interventions des sauveteurs. Dans le sud-ouest de la France, ils sont souvent connus sous le nom de courants de baïnes. L’une des rares études disponibles à ce jour a montré qu’ils étaient impliqués dans près de 80 % des noyades.
Divers paramètres influent sur la formation des courants d’arrachement : les hauteurs de marées, la morphologie des plages (les formes des plages vont donner naissance à différents courants d’arrachement), voire la présence d’ouvrages physiques tels qu’une digue de port. Ces courants sont d’autant plus difficiles à déceler qu’ils sont parfois générés dans des parties du plan d’eau où les vagues sont absentes, donnant l’impression trompeuse qu’il n’y a là aucun danger.
Si la compréhension des mécanismes qui concourent à la formation de ces courants est une étape incontournable de la prévention des risques, une analyse par les sciences sociales des usagers qui s’y exposent est tout aussi vitale.
Exposition et perception des risques
Les études épidémiologiques révèlent que nous n’avons pas tous le même risque d’être emportés par les courants d’arrachement. Bon nombre de ces travaux indiquent en effet que ce type d’accident est significativement plus élevé chez les jeunes hommes.
Ce résultat est généralement expliqué par la propension de cette catégorie de la population à surestimer ses capacités de nage, ainsi que par la pression sociale exercée par les proches ou encore par la recherche de sensations fortes. La consommation d’alcool fait également partie des facteurs aggravants le risque.
Cependant, il ne faudrait pas croire que l’exposition au risque est nécessairement volontaire. Elle peut en effet tout aussi bien résulter d’une relative méconnaissance du danger chez des personnes a priori peu enclines à se mettre dans des situations délicates. Sur ce plan, les populations riveraines du littoral semblent bénéficier d’un certain « avantage comparatif ». En Australie, pays qui a fait de ce sujet une priorité de santé publique et où sont menées les recherches les plus avancées, des scientifiques ont ainsi montré que les personnes habitant près de la plage étaient plus familières des courants d’arrachement que celles qui en sont éloignées, ou que les touristes étrangers.
En Aquitaine, nous avons trouvé un résultat analogue dans une enquête exploratoire menée sur un échantillon représentatif de la population régionale, âgée de 18 ans et plus. Les individus déclarant se rendre à la plage étaient plus nombreux à donner une définition (simple) des baïnes que ceux qui n’y allaient pas (80 % contre 65 %). En outre, les taux de réponse étaient encore plus élevés parmi les habitants des départements littoraux : ils atteignaient 84 % dans les Landes, 81 % en Gironde et 79 % dans les Pyrénées-Atlantiques, contre 61 % en Dordogne et 59 % dans le Lot-et-Garonne.
Mais savoir que les courants d’arrachement existent ne signifie pas être capable d’en reconnaître un lorsque l’on se baigne. Certains nageurs pourraient même s’imaginer, à tort, être en capacité de le faire alors que ce n’est pas le cas. Cette hypothèse a été étayée au début des années 2010 par une autre étude australienne. Au cours de cette enquête en deux étapes, des individus qui avaient dans un premier temps donné une définition correcte des courants d’arrachement se sont ensuite avérés nettement moins habiles quand il s’est agi de les identifier sur des photographies.
crédit Johanes Martin, Author provided
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles certains chercheurs préconisent d’interroger systématiquement les baigneurs in situ, face à la réalité à laquelle ils sont censés se confronter. Bien que séduisante pour le praticien (il y a pire endroit que les plages pour mener des enquêtes !), cette méthode crée malgré tout un biais d’inclusion, en donnant plus de poids aux usagers assidus, alors que les populations éloignées du littoral sont elles aussi des victimes potentielles.
Prévention et adaptation
Les travaux de recherche révèlent aussi que lorsque les baigneurs sont conscients du risque que représentant les courants d’arrachement, ils ne prennent pas tous les mêmes précautions.
Une étude menée dans la région de Sydney a ainsi montré que les individus habitant « l’intérieur des terres » déclarent plus que les autres nageurs (y compris les touristes) se baigner dans les zones surveillées. Le constat est assez similaire de ce côté-ci du globe, puisque la proportion d’Aquitains déclarant se baigner, même occasionnellement, en dehors de la surveillance, est plus forte chez ceux qui vivent à proximité du littoral.
L’information et l’expérience dont ils semblent bénéficier, eu égard aux connaissances qu’ils expriment, leur confèrent-t-elles une aptitude à mieux appréhender et donc à se prémunir (au moins en partie) contre le risque ? Ce n’est pas évident. Cependant, la stratégie individuelle a ses limites, car il n’existe pas de voie universelle d’échappement.
La conduite à tenir dépend du type de courant dans lequel on est pris mais, d’une façon générale, les spécialistes s’accordent à dire qu’il ne faut pas paniquer, ni lutter, et tenter de signaler sa présence. La surveillance des plages reste donc un instrument collectif incontournable de gestion du risque.
Identifier les courants d’arrachement est un exercice délicat, mais c’est aussi une occasion d’en apprendre un peu plus sur l’environnement marin dans lequel nous souhaitons nous immerger. Après plus d’un an de déferlement de vagues épidémiques sources de grande anxiété, essayons de profiter sereinement de celles de l’océan cet été…
Jeoffrey Dehez, Chargé de recherche en économie des loisirs et environnement, Inrae et Sandrine Lyser, Ingénieure d’études en statistique, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: Pour profiter en toute sécurité des baignades en mer, mieux vaut se renseigner avant d’entrer dans l’eau. Ilona Bellotto / Unsplash