ASTRONOMIE Katie Bouman était en master quand elle a conçu l’un des algorithmes qui a permis d’obtenir cette image historique

L’œil de Sauron ou un donut galactique, chacun y verra ce qu’il veut. Mais une chose est sûre : même si elle est floue, la première image d’un trou noir (ou plutôt de sa silhouette), dévoilée mercredi, marquera l’histoire de l’astronomie. Et si le projet international de l’Event Horizon Telescope (EHT) a mobilisé 200 chercheurs et 8 télescopes dans le monde entier, un algorithme a joué un rôle central pour combiner les pièces du puzzle en une image. Il a été développé il y a trois ans par Katie Bouman, étudiante en master d’informatique au MIT à l’époque. Alors que le rôle des femmes dans les sciences n’a souvent pas été reconnu à sa juste valeur, la contribution de l’ancienne étudiante, qui doit avoir, selon nos calculs, 29 ou 30 ans, a été largement saluée sur Twitter.

La jeune femme, qui a depuis terminé sa thèse, a publié sur sa page Facebook une photo du moment où elle a vu pour la première fois l’image reconstituée, et l’image a fait le tour du Web.

Le MIT a également publié une photo de la chercheuse posant devant une cinquantaine de disques durs contenant un échantillon des données mesurées par les radiotélescopes pointés sur le trou noir géant au cœur de la galaxie M87. L’image évoque la photo de Margaret Hamilton à côté de la pile gigantesque du code informatique qu’elle avait écrit pour la mission Apollo.
 

Pour l’anecdote, les données mesurées par les satellites du projet EHT étaient tellement volumineuses qu’elles ne pouvaient pas être transmises par Internet : une demi-tonne de disques durs contenant 5 petaoctets (5.000 To ou 5 millions de Go) a été envoyée à l’observatoire Haystack du MIT par avion.

Deviner les portions manquantes de l’image

Sur cette première image historique d'un trou noir, on peut observer le disque d'accrétion autour du trou noir au centre de la galaxie M87.Sur cette première image historique d’un trou noir, on peut observer le disque d’accrétion autour du trou noir au centre de la galaxie M87. – EHT

« Comment photographier un trou noir ? » Katie Bouman a expliqué le fonctionnement de son approche lors d’une présentation TEDx en 2017. Les huit radiotélescopes (eux-mêmes constitués de plusieurs dizaines d’antennes) couvrent la surface entière du globe, du Chili à Hawaï, en passant par la France et l’Antarctique. En les synchronisant, les chercheurs disposent ainsi d’un télescope virtuel du diamètre de la Terre. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez d’antennes : en quatre jours, les astronomes n’ont donc pu observer que quelques pièces du puzzle. C’est là qu’intervient l’algorithme de l’ex-étudiante.

A partir des fragments observés, l’algorithme, pour faire simple, fait le tri dans les parasites et extrapole les zones manquantes. En appliquant des techniques de machine learning, il s’est entraîné à reconstituer des milliers d’images du quotidien puis a été appliqué à l’image parcellaire du trou noir, sans être influencé par les modèles physiques théoriques. La prouesse a permis de confirmer des prédictions faites par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale. Un petit pas pour l’informatique, mais un bond de géant pour l’astronomie et la physique.

L’image expliquée

Les trous noirs sont des objets tellement denses que rien ne peut s’en échapper, ni matière, ni lumière, ni ondes radio. Ils sont donc invisibles. Ce qu’on observe sur l’image en orange, c’est le disque d’accrétion de la matière siphonnée, et l’event horizon, la frontière du trou noir, ou plus exactement son ombre (le trou noir lui-même est un disque dont le rayon est 2,5 fois plus petit que celui du cercle noir de l’image). Attention, l’image est en fausses couleurs: les antennes des satellites mesurent des ondes radios, qui sont invisibles à l’oeil nu. Les scientifiques ont décidé ici que le jaune représentait les zones de rayonnement le plus intense –où les gaz sont chauffés à plusieurs millions de degrés– et le rouge sombre des zones de plus faible intensité. Cette vidéo en anglais permet de mieux visualiser tout ça.

Source – crédit photo: Katie Bouman a joué un rôle central pour obtenir la première image d’un trou noir alors qu’elle était encore étudiante au MIT. — MIT