Cet article a été co-écrit avec Éric Chenut, Président de la Fondation d’entreprise MGEN pour la santé publique.


En 2017, l’Assurance maladie comptabilisait en France près de 11 millions d’assurés en affection de longue durée (ALD), soit 1 personne sur 6. Ce chiffre sous-estime vraisemblablement le poids réel des maladies chroniques.

En effet, tous les malades chroniques ne sont pas déclarés en affection de longue durée, et certaines maladies chroniques ne figurent pas parmi les 30 affections de la liste. L’Assurance maladie estime ainsi à 20 millions le nombre de personnes touchées par ce type de pathologies.

Pour ces malades chroniques, la surveillance médicale est essentielle pour suivre l’évolution de leur maladie, mettre en place les traitements optimaux et éviter la survenue de complications. La Fondation MGEN pour la santé publique, en collaboration avec le laboratoire LIRAES de l’Université Paris Descartes, a étudié la prise en charge médicale des adhérents diabétiques de la MGEN à partir des données de remboursements de soins des années 2010 à 2015. Que faut-il retenir des trois études publiées ?

De l’importance du suivi médical

Les résultats de deux de ces études mettent en lumière l’importance de la réalisation annuelle des 8 actes ou examens recommandés par la Haute autorité de santé (HAS) dans le cadre du suivi du diabète. Ainsi, plus la personne souffrant de diabète a réalisé d’actes ou d’examens recommandés au cours de l’année, moins sa probabilité d’être hospitalisée l’année suivante sera élevée, ce qui laisse supposer un meilleur état de santé et une diminution de l’occurrence des complications.

Ces résultats révèlent par ailleurs qu’une marge de progression existe. En effet, un diabétique ne réalise en moyenne sur l’année que 53 % des actes ou examens recommandés. De plus, la seconde étude montre que l’impact sur l’hospitalisation peut varier selon les recommandations réalisées : on constate notamment un effet bénéfique net de la vaccination antigrippale.

La troisième étude s’est quant à elle intéressée aux médecins qui assurent la surveillance du diabète. Elle indique que la quasi-totalité des diabétiques sont suivis en médecine générale, et que seuls un peu plus de 10 % d’entre eux recourent à un endocrino-diabétologue. Ce recours à un spécialiste est plus fréquent lorsque la sévérité du diabète augmente, et peut être freiné, en revanche, par l’éloignement géographique et des tarifs de consultation élevés.

Ces résultats traduisent un point important : alors que les progrès de la médecine permettent le développement de prises en charge de plus en plus efficaces, l’accès au système de soins et l’inobservance thérapeutique sont des causes majeures d’échec thérapeutiques et de moindre performance de notre système de santé.

De la compliance à l’adhésion thérapeutique

L’Organisation mondiale de la santé estime que de façon générale la proportion de malades chroniques respectant leur traitement est de seulement 50 % dans les pays développés, et ce chiffre reste relativement stable. La non-adhésion dans les maladies chroniques est un phénomène complexe, influencé par de très nombreux facteurs, qui sont liés à la fois au patient, à la maladie, au traitement, au médecin et plus généralement à l’organisation des systèmes de santé.

L’observance thérapeutique ne se limite pas à la simple prise d’un traitement prescrit, mais regroupe plutôt un ensemble de comportements : consulter un médecin, se rendre au(x) rendez-vous, effectuer les examens complémentaires, acheter les traitements à la pharmacie, respecter les doses prescrites, la fréquence, les horaires et la durée du traitement, et modifier ses habitudes de vie (mesures d’hygiène et d’isolement, repos, modification de l’alimentation, exercice physique…). Le concept d’observance ne correspond donc pas au simple suivi par les patients des recommandations du médecin.

Avec le développement de la démocratie en santé, la notion de « compliance », qui suppose que le malade adapte son quotidien aux exigences du traitement décidé par le médecin, a été remplacée par la notion l’« adhésion » thérapeutique. Celle-ci implique que le patient coopère avec le médecin sur la proposition thérapeutique élaborée en fonction non seulement des connaissances du médecin, mais aussi des attentes et déterminants de santé du patient.

Améliorer l’observance thérapeutique

L’adhésion thérapeutique dans le contexte des maladies chroniques peut être sensiblement améliorée grâce à diverses interventions dont l’efficacité est variable (éducation thérapeutique, distribution d’informations écrites, rappels et suivis téléphoniques, soutien psychologique et familial, programmes de « disease management », amélioration de l’accès au soin, soutien psychologique et familial, techniques de renforcement et organisations d’interventions en cas de décompensation, etc.).

Les approches dites de « littératie en santé », dans lesquelles les individus ont la capacité d’obtenir, de traiter et de comprendre les informations et les services de santé de base nécessaires pour prendre des décisions de santé appropriées qui les concernent, sont à promouvoir. Une faible « littératie en santé » est en effet associée à de moins bons résultats en termes de santé, parmi lesquels une plus grande mortalité.

De manière générale, il semble important d’intervenir sur plusieurs facteurs potentiels d’inobservance et auprès des différents acteurs de la prise en charge. Il faut aussi surtout optimiser l’organisation de notre système de soins à l’aune des challenges soulevés par la prise en chargé des pathologies chroniques, en donnant aux professionnels de santé les moyens d’exercer pleinement leurs fonctions. Pour y parvenir, le « chronic care model » est une approche à explorer pour l’organisation de l’offre de premiers recours, autrement dit le premier niveau de contact entre la population et le système de santé, comme la définit l’article L1411-11 du code de la santé publique.

Le « chronic care model » pour améliorer la prise en charge

Les données de la littérature décrivent le « chronic care model » comme une modalité d’organisation de l’offre de soins particulièrement favorable à la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques. Ce modèle repose notamment sur :

  • La capacité à mobiliser de ressources communautaires, au sens santé publique du terme, grâce à une inscription sur un territoire, en lien avec les collectivités territoriales, et la mobilisation des groupes de malades

  • Le développement du lien entre la santé publique et l’offre de soins à travers, des campagnes de prévention ou d’éducation thérapeutique élaborées et mises en œuvre à partir d’un diagnostic de territoire en lien avec l’ensemble des acteurs concourant à la santé sur un territoire donné, sans oublié les médecins généralistes

  • La valorisation de la qualité des soins, qui repose sur la diffusion des recommandations de bonnes pratiques cliniques (protocoles de prise en charge) et sur des modes de rémunération des professionnels adaptés. En effet, les modes de rémunération, qu’ils soient à l’acte, au salariat, selon des indicateurs de qualité ou à la capitation (qui consiste à verser à un médecin un forfait pour la prise en charge d’un patient à son cabinet, sur une période donnée), présentent tous des avantages et inconvénients dans le cadre de la prise en charge des patients. Des modes de rémunération mixtes pourraient contribuer à optimiser cette prise en charge.

  • L’accompagnement des professionnels dans leur démarche de formation continue.

  • L’organisation en équipe, optimisant la coopération interprofessionnelle, avec des délégations de tâches et transferts de compétences auprès d’autres professionnels de santé. Ainsi au Canada, comme dans un certain nombre de pays de l’OCDE, les infirmières ont un rôle prégnant dans la prise en charge des maladies chroniques, notamment dans leur suivi et les conseils sur les habitudes de vie

  • Des liens renforcés avec l’hôpital et les secteurs médico-social et social : dans cette optique, la mise en place d’une structure de premier recours performante et identifiable par l’hôpital et le secteur médico-social, avec protocolisation des échanges d’information, permettra de mieux coordonner la prise en charge. Elle permettra notamment de lutter contre les recours injustifiés à l’hôpital, et de développer des organisations permettant la prise en charge en ambulatoire de pathologies traitées en hospitalisation.

  • Un système d’information performant, qui permet le développement opérationnel des points développés ci-dessus, ainsi que la gestion du suivi du patient : suivi d’indicateurs de santé, dispositifs d’alerte, gestion du rappel des patients, etc.

Dans un article consacré notamment à ce sujet publié en 2008, l’inspecteur général de la santé Pierre Louis Bras précisait qu’une prise en charge pertinente des pathologies chroniques en France ne pourrait se faire qu’au prix de bouleversements profonds de l’organisation de l’ensemble du système de santé. Douze ans plus tard, ce bouleversement souhaité reste d’actualités et doit reposer en premier lieu sur une revalorisation de la médecine générale et, plus largement, de l’offre de premiers recours correspondant aux soins de proximité.

Revaloriser la médecine générale

De nombreuses études font effet état des difficultés que connaissent les médecins généralistes. Outre les différences injustifiées de salaire avec leurs confrères spécialistes et la perception de lourdeurs administratives, il existe surtout un décalage entre l’organisation de la médecine générale définie par le régulateur, organisation qui n’a pratiquement pas évolué depuis 70 ans, et les évolutions concernant les aspirations des médecins, les progrès médicaux et technologiques et la situation épidémiologique du pays.

On constate notamment que le profil des médecins généralistes et leur façon d’exercer leur métier changent. La profession rajeunit, et les durées de travail diminuent sensiblement par rapport à celles de leurs aînés. Au-delà d’un potentiel effet générationnel, il est possible que cette situation reflète les changements survenus dans les modalités d’exercice de la médecine. Les relations entre médecins et régulateurs ont changé, tout comme celles existant entre les médecins et leurs patients. La médecine basée sur les preuves a pris plus d’importance. Autant de facteurs qui ont augmenté la nécessité de formation, laquelle aboutit à une diminution du temps disponible pour l’acte médical. Sans compter les tâches administratives, également chronophages.

Autre différence avec les générations précédentes : les médecins expriment désormais des volontés de regroupement. Si lesdits regroupements étaient jusqu’ici monodisciplinaires, les choses changent : au cours des 10 dernières années, le nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles a explosé, passant de 20 en 2008 à 910 en 2018. Cette façon d’exercer est en particulier largement plébiscitée par les futurs généralistes. Enfin, les médecins sont de plus en plus nombreux à rechercher des alternatives à la rémunération à l’acte.

Dans ce contexte, des modalités de coopération innovantes, reposant par exemple sur l’économie sociale et solidaire, pourraient aider à l’organisation et à la prise en charge de taches et dépenses afférentes à la gestion du cabinet d’exercice regroupé, ce qui permettrait d’augmenter le revenu, le temps disponible, et la satisfaction des professionnels.

De plus, une revalorisation des revenus des médecins généralistes participerait à la revalorisation de l’offre de premier recours face à une vision hospitalo-centrée de notre système. La diversification des modes de rémunérations des professionnels de santé peut optimiser la prise en charge des pathologies chroniques. On pourrait imaginer mettre en place des expérimentations sur le paiement par « capitation », mode de rémunération au forfait permettant un exercice libéral, alternatif à la tarification à l’acte et au salariat ?

Optimiser l’offre de premiers recours

Il est envisageable d’augmenter le temps médical disponible en renforçant les collaborations entre médecins et professionnels paramédicaux. Les médecins pourraient par exemple être soulagés de certaines tâches par le recours à des infirmières de pratiques avancées, autrement dit des infirmières diplômées qui ont acquis à la fois des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, et les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de la profession.

À l’heure actuelle, si l’intérêt d’un renforcement du travail en équipe médecins/infirmiers est largement documentée dans la littérature, les protocoles de coopération restent peu développés. Là encore, des réflexions sur l’amélioration de ces dispositifs pourraient être menées au sein des exercices regroupés.

Il conviendrait de renforcer cette offre de premiers recours en offrant un éventail de possibilités afin de laisser les professionnels de santé choisir librement des modalités de leur exercice professionnel, en fonction des réalités propres à chaque territoire.

Une offre de premiers recours ainsi renforcée et revalorisée optimiserait la prise en charge des pathologies chroniques et contribuerait à augmenter la satisfaction des professionnels de santé. Elle constituerait également un maillage essentiel dans la gestion de crises sanitaires telle que celle que nous avons vécu cette année.The Conversation

Karim Ould-Kaci, Directeur de la Fondation d’entreprise pour la Santé publique MGEN – Guest lecturer-Co directeur académique, ESSEC et Christine Sevilla-Dedieu, Responsable des études économiques, Fondation MGEN pour la santé publique

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: pixabay