Qu’est-ce qu’un virus ? De quel type est le coronavirus, qui touche au bas mot 720 000 personnes dans le monde ? Comment s’est-il transmis de l’animal à l’homme ? Qu’est-ce que la charge virale ? Pourquoi le COVID -19 est-il si contagieux ? Entretien avec Mylène Ogliastro, directrice de recherche à l’INRAE, membre du conseil scientifique de la Société Française de Virologie.
Qu’est-ce qu’un virus ?
C’est une association spécifique entre des protéines et du matériel génétique ; il faut imaginer une noix avec une structure externe, la coque de la noix, que l’on appelle la capside, qui protège un matériel génétique, qui peut être soit de l’ADN soit de l’ARN. Il y a deux grands types de virus : les virus nus et les virus enveloppés qui possèdent en plus de la capside, une couche supplémentaire appelée enveloppe. Le coronavirus est de ce second type. L’enveloppe est constituée de lipides, de protéines et de sucres, une composition similaire à la membrane de nos cellules. Ces structures, la capside ou l’enveloppe, lui permettent de reconnaître les cellules et/ou de fusionner avec leur membrane au hasard d’une rencontre. Tous les organismes vivants peuvent être infectés par des virus, depuis les bactéries jusqu’à l’homme.
Le virus est un “parasite intracellulaire obligatoire” : “parasite” parce qu‘il vit aux dépens de sa cellule hôte, “intracellulaire obligatoire” parce qu’il doit trouver dans la cellule le matériel nécessaire pour se multiplier et assurer ainsi sa survie, sinon il disparaît. Il n’est jamais autonome. Il est en général relativement spécifique, toutefois certains virus peuvent « franchir la barrière d’espèce ». C’est ce qui s’est passé pour le SARS-CoV-2.
Ce coronavirus, SARS-CoV-2, était inconnu ?
Oui. Il y a environ 7000 espèces de virus décrits à ce jour. Chez l’homme, on connaît sept coronavirus différents, dont quatre sont faiblement pathogènes – ils vont donner des rhumes, par exemple – et trois sont pathogènes, ou hautement pathogènes. Il y a eu une première épidémie de SARS-CoV en 2002-2003, puis une deuxième épidémie au Moyen Orient en 2012, avec le MERS-CoV qui avait une mortalité importante (de l’ordre de 40%). Le troisième coronavirus est le SARS-CoV-2 responsable de la maladie COVID-19. La structure de ces virus est la même, mais leur génomediffère. Le génome du SARS-CoV-2 est plus proche de celui du SARS-CoV que du MERS-CoV.
Comment s’est-il transmis de l’animal à l’homme, pourquoi a-t-on soupçonné le pangolin ?
Pour qu’un virus passe de l’animal à l’homme, il faut d’abord qu’il y ait un contact avec lui. Dans le cas du SARS-CoV-2, si l’origine est la chauve-souris, cela signifie que ce mammifère l’a transmis à l’homme (96 % de similitude entre le génome du SARS-CoV-2 et le génome du virus détecté chez une chauve-souris). En Asie, la chauve-souris est un animal porte-bonheur qui bénéficie d’une grande proximité avec l’homme et d’un climat qui fait qu’elles sont diversifiées et abondantes. On a invoqué le pangolin comme hôte intermédiaire potentiel parce que cet animal possèderait un coronavirus qui ressemble génétiquement à ce SARS-CoV-2. On n’a toutefois pas isolé le virus du pangolin, juste détecté et séquencé un matériel génétique très proche de celui du SARS-CoV-2. Un virus de la chauve-souris aurait pu infecter le pangolin et une recombinaison entre les virus provenant de ces deux mammifères aurait pu avoir lieu dans cet animal dit « hôte intermédiaire », permettant par la suite le passage à l’homme. C’est une hypothèse non confirmée à ce jour.
L’apparition d’un nouveau coronavirus chez l’homme nécessite une rencontre avec un coronavirus animal et une entrée dans l’organisme par inhalation ou par ingestion. Ce coronavirus animal est ensuite entré dans les cellules humaines pour se multiplier. Pour entrer dans une cellule, la particule virale doit reconnaitre un récepteur cellulaire, comme une clé reconnait une serrure. Le récepteur agissant comme un verrou moléculaire, le virus doit avoir la « bonne clé ». Si le SARS-Co-V-2 ressemble au virus de chauve-souris, la clé qui lui permet d’entrer dans la cellule humaine est une protéine de l’enveloppe qui ressemble davantage à une protéine du virus du pangolin.
Une fois dans la cellule, le virus doit détourner la machine cellulaire pour qu’elle exprime et multiplie l’acide nucléique viral, comme elle le ferait avec ses propres gènes. Le virus n’étant pas autonome, il utilise les ressources et l’énergie de la cellule, ce qui peut la tuer. De nombreux verrous moléculaires doivent également être ouverts pour réussir ces étapes. En particulier, le virus doit « s’adapter » à ce nouvel environnement cellulaire. Cette adaptation peut se faire par exemple grâce à des mutations qui apparaissent dans son génome au cours des cycles de multiplication dans les cellules. En effet, si la plupart de ces mutations éliminent le virus, certaines peuvent rendre ces nouveaux virus capables de se multiplier efficacement chez ce nouvel organisme.
Enfin, le virus doit se transmettre à de nouveaux organismes pour persister. L’efficacité de la transmission du SARS-CoV-2 entre individus au sein de populations a déterminé son caractère épidémique, puis pandémique. Le virus de la rage, qui est transmis à l’homme par le chien mais qui n’est pas transmissible entre hommes, ne provoque pas d’épidémie.
En conclusion, COVID-19 est une zoonose car elle est le résultat du passage d’un coronavirus de l’animal à l’homme. Le franchissement de la barrière d’espèce par les virus est influencé par les comportements humains, par exemple en favorisant les contacts entre l’animal et l’homme.
Qu’est-ce que la charge virale ?
C’est la quantité de virus contenue dans un échantillon (biologique : sang, tissu, urines, selles d’un individu… ou physique : eau, air, surface). Elle se mesure par des techniques moléculaires. Elle varie dans l’organisme au cours de l’infection, augmente puis régresse lorsque l’organisme développe une immunité. Entre individus nous ne sommes pas tous égaux face aux infections : nous n’avons pas tous la même sensibilité, ni la même immunité. Nous sommes tous potentiellement sensibles, mais génétiquement, certains organismes vont éliminer le virus ou contrôler sa multiplication plus efficacement que d’autres. En plus du terrain immunitaire, la coexistence d’autres pathologies influence le niveau de sensibilité de chacun.
Est-ce cette charge virale qui détermine l’ampleur des symptômes ?
Pas uniquement. Certains individus dits asymptomatiques peuvent avoir une charge virale relativement élevée sans présenter de symptômes et peuvent transmettre le virus (c’est le cas du COVID-19). Les symptômes sont associés à une réaction immunitaire importante : pour se débarrasser du virus, les cellules sécrètent des molécules pouvant produire un choc immunitaire, c’est ce qui rend malade. C’est pourquoi à charge virale égale, on peut être plus ou moins malade.
On peut donc être asymptomatique et contagieux ?
Oui, les voies de contagion sont identiques entre individus asymptomatiques et symptomatiques, grâce aux mêmes liquides (expectorations, nez qui coule même modéré, postillons, mains contaminées, via les selles…). Des données récentes (situation en Corée du Sud) ont notamment révélé que les jeunes adultes entre 20-30 ans ont été fortement infectés tout en présentant peu/pas de symptômes. Ces données sont en faveur d’une forte dissémination du virus par des individus asymptomatiques. Actuellement, la mesure de la charge virale est uniquement limitée aux individus présentant des symptômes.
Qu’est-ce qui fait la contagiosité d’un virus ?
Sa stabilité (et donc sa persistance dans l’environnement) dépend de beaucoup de facteurs comme la température, l’hygrométrie, la présence de solvants, détergents… Combien de temps ce virus peut rester dans un aérosol pour infecter la personne suivante ? Si l’aérosol est inhalé, ce sera très efficace, s’il se dépose, cela dépend du support (Des études montrent que ce virus est encore actif après 2 h sur du carton et jusqu’à 72 h sur du plastique). Ce coronavirus, relativement peu virulent comparé au premier SARS ou au MERS-CoV, est beaucoup mieux transmis, parce qu’il serait plus stable et/ou par sa meilleure affinité pour son récepteur.
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