Quelle est donc cette guirlande, une décoration de Noël ? Une vue nocturne d’une autoroute prise par un drone ?
Il s’agit en fait d’une partie d’un neurone impliqué dans nos capacités de mémorisation : on voit en gris une dendrite (un des nombreux prolongements d’un neurone) et, en blanc, des synapses (les zones de communication chimique entre neurones). Les trajectoires multicolores reflètent les protéines qui, sur les synapses, accueillent les messagers chimiques en provenance d’autres neurones. On pensait jusqu’à présent que ces protéines, les « récepteurs de neurotransmetteurs », étaient immobiles à la surface des neurones. Mais ces images nous ont permis de faire une découverte fondamentale : les récepteurs bougent à la surface des neurones !
Ici, nous observons un neurone d’une culture de neurones d’hippocampe de rat, une région cérébrale impliquée dans les phénomènes de mémoire et d’apprentissage. Ce type d’image nous permet donc de mieux comprendre comment fonctionne la mémoire.
Les synapses, briques élémentaires de fonctionnement du cerveau et de la mémoire
Les synapses sont formées de deux parties : la partie présynaptique, produisant et relarguant le neurotransmetteur, qui n’est pas visualisée ici ; et la partie post-synaptique contenant les récepteurs de neurotransmetteurs, et qui est visualisée ici.
Elles ont été découvertes à la fin du XIXᵉ siècle, ce qui a conduit à la théorie neuronale postulant que le cerveau est constitué de cellules individuelles – les neurones – qui communiquent entre eux au niveau de ces jonctions synaptiques.
Leur mode de communication, caractérisé par une libération de neurotransmetteur qui active des récepteurs concentrés dans le domaine post-synaptique, a été identifié au cours du XXe siècle par l’association des techniques d’électrophysiologie et de microscopie électronique.
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Une avancée fondamentale dans notre compréhension du fonctionnement du cerveau a été la découverte dans les années 1970 que l’efficacité de la transmission synaptique était « plastique » : elle n’est pas fixe et peut être modulée par les activités neuronales précédentes. De manière importante, ces changements de la transmission synaptique pouvant être stables dans le temps – de plusieurs heures à plusieurs mois.
Cette découverte a conduit à l’hypothèse que des briques élémentaires de mémoire pourraient être « stockées » dans les synapses sous cette forme.
« Faisons l’hypothèse qu’une activité persistante et répétée d’une activité avec réverbération (ou trace) tend à induire un changement cellulaire persistant qui augmente sa stabilité. Quand un axone d’une cellule A est assez proche pour exciter une cellule B de manière répétée et persistante, une croissance ou des changements métaboliques prennent place dans l’une ou les deux cellules ce qui entraîne une augmentation de l’efficacité de A comme cellule stimulant B. » Donald Hebb, 1949
Et pourtant ils bougent !
Comment les synapses stockent-elles l’information ? Cette question fondamentale pour notre compréhension des bases cellulaires de la mémoire mobilise les neuroscientifiques depuis plus de 50 ans. Jusqu’à la fin du siècle dernier, on pensait que les mécanismes essentiels en étaient une modulation de l’efficacité de libération de transmetteurs ou des propriétés biophysiques des récepteurs.
Maintenant, on pense plutôt que pour que le neurone post-synaptique adapte mieux sa réponse au neurotransmetteur, il est particulièrement intéressant que les protéines réceptrices soient mobiles sur de grandes distances : plusieurs laboratoires ont mis en évidence au tournant du XXIe siècle que la plasticité synaptique était associée à une variation du nombre de récepteurs à la synapse.
Ceci contrastait avec le dogme de l’époque, qui postulait que les récepteurs de neurotransmetteurs sont solidement ancrés dans les synapses et très stables. Mais différents groupes de recherche, dont le nôtre, ont alors découvert que les récepteurs étaient en perpétuellement en mouvement à la surface du neurone, diffusant librement grâce à la fluidité des membranes. Les récepteurs s’accumulent aux synapses par un phénomène de capture, mais ils s’échangent en permanence entre les différents compartiments du neurone.
De manière fascinante, nous avons également découvert que ce mouvement des récepteurs est fortement modulé par l’activité neuronale, ouvrant la porte à des études liant la mobilité des récepteurs à la mémoire !
Le contrôle de la mobilité des récepteurs ouvre de nouvelles fenêtres vers le contrôle de l’activité cérébrale
La formation d’une mémoire est une symphonie jouée par plusieurs zones cérébrales qui se synchronisent pour permettre son encodage, sa consolidation et son rappel (qui permet de réagir de façon adaptée lorsqu’une même situation est rencontrée). De même, la plasticité synaptique est régie par plusieurs phases distinctes permettant une réaction immédiate (secondes), et son maintien à moyen terme (minutes) ou à plus long terme (jours et plus).
L’enjeu est désormais de comprendre comment ces deux phénomènes sont liés et le rôle joué par la mobilité des récepteurs. Nous avons récemment développé au laboratoire une nouvelle génération d’outils moléculaires permettant de contrôler efficacement la mobilité des récepteurs au glutamate, un neurotransmetteur majeur au sein du cerveau. En combinant des approches pharmacologiques, électrophysiologiques et comportementales, nous allons explorer le lien fondamental entre plasticité synaptique et mémoire chez la souris, et tenter de comprendre les mécanismes expliquant les désordres cognitifs associés aux maladies neurodégénératives ou neurodéveloppementales.
Daniel Choquet, Directeur de recherche au CNRS, neuroscience et imagerie, Université de Bordeaux et Yann Humeau, Docteur en neurosciences, directeur de recherche au CNRS, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. crédit photo: En couleurs, les protéines qui reçoivent les messagers chimiques voyageant entre les neurones — elle a été obtenue en associant la microscopie de fluorescence et le suivi de nombreuses molécules individuelles. © Benjamin COMPANS /Daniel CHOQUET/IINS/CNRS Photothèque, Fourni par l’auteur