Chèvreville (France) (AFP) – Un bourdonnement sourd entre les rangs de pommiers en fleurs. Chut ! les ouvrières travaillent. Dans un immense verger de Chèvreville, au nord-est de Paris, des milliers d’abeilles s’activent pour polliniser des millions de fleurs en à peine trois semaines.

« Sans abeilles, pas de pollinisation, pas de pommes, pas de vie », l’équation est simple, et vieille comme le monde : à force d’entendre parler du déclin des abeilles, certains agriculteurs comme Alexandre Prot, céréalier et producteur de pommes installé à une heure de la capitale française, ont pris les choses en main en devenant aussi apiculteurs.

« On n’a pas peur de manquer d’abeilles, parce qu’on a les nôtres », explique le jeune homme, qui entretient 30 ruches à l’année et en loue 30 supplémentaires au printemps pour assurer la fécondation des fleurs sur ses 60 hectares de pommiers.

Diplômé d’une école de commerce, il a travaillé à New York et Paris dans l’audit et sur les marchés de matières premières agricoles, avant de s’installer sur l’exploitation familiale de 300 hectares à Chèvreville (Oise).

« Autonome »

« Mon grand-père, qui avait planté les premiers pommiers, faisait appel à un apiculteur professionnel, mon père aussi », raconte l’agriculteur.

« Avoir des abeilles me permet d’être autonome pour ma production de pommes », explique-t-il. « Tous les ans, les ruches se divisent en deux, la jeune reine va trouver un nouvel abri, on récupère les essaims. (…) Donc tous les ans, avec l’essaimage, on augmente un peu notre parc. »

Ses abeilles produisent quelque 500 kilos de miel par an, commercialisés dans le magasin de la ferme. Mais ce miel fait presque figure de produit dérivé tant c’est l’acte de pollinisation lui-même, au cœur de la reproduction des plantes, qui motive l’agriculteur.

L’Institut technique et scientifique de l’apiculture (ITSAP) estime à 2 milliards d’euros la valeur de l’activité pollinisatrice des abeilles pour l’agriculture française (production de fruits, de fleurs, de semences..).

Au niveau international, l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) a placé la « conservation et l’utilisation durable des pollinisateurs » au rang des « priorités absolues » pour juguler une « crise de la pollinisation » qui mettrait en danger les ressources alimentaires de la planète.

Près de 35% de la production agricole mondiale dépend de pollinisateurs comme les abeilles, les oiseaux et les chauves-souris, qui améliorent les rendements de 87 des plantes vivrières les plus cultivées dans le monde, selon la FAO.

Achillées et calendula

En France même, il est « impossible » de connaître le nombre d’agriculteurs qui ont eux-mêmes installé des abeilles pour favoriser la reproduction de leurs plantes, indique à l’AFP Eric Lelong, président de la toute jeune interprofession apicole InterApi.

Il juge « indispensable d’accorder une valeur à la pollinisation ». Dans les champs d’amandiers en Californie, quand les insectes sauvages manquent, il n’y a « plus de rendement » si l’on n’ajoute pas de ruches, constate-t-il. « D’où le prix très élevé de la location des ruchers ».

Conscient de l’apport crucial de ses abeilles, Alexandre Prot est aux petits soins avec ses ouvrières et sème pour elles un champ de fleurs, achillées, calendula, lin, trèfles blancs. « Comme elles ne fleurissent pas toutes en même temps, elles constitueront le garde-manger des abeilles de mai à octobre, lorsqu’il n’y aura plus de fleurs de pommiers. »

Alors que le taux moyen de mortalité des colonies d’abeilles en France s’est élevé jusqu’à 30% en 2017-2018 avec un hiver humide et les attaques de varroa, un parasite des abeilles, selon une enquête menée par le ministère de l’agriculture, Alexandre Prot dit n’avoir perdu aucune de ses colonies.

 « Laisser travailler la nature »

Il associe l’apiculture à une production de pommes sous un label « éco-responsable », comme 65% des producteurs de ce fruit en France. Cette démarche, sorte de troisième voie entre le conventionnel et le bio, permet à la fois de garantir une récolte stable d’une année sur l’autre, et donc de trouver des débouchés commerciaux avec la grande distribution, et de réduire l’utilisation de pesticides.

« La démarche c’est de laisser travailler la nature toute seule, autant qu’elle peut, en ne s’interdisant pas une intervention » en cas de ravageur ou de moisissure qui menace la récolte, précise M. Prot.

Les applications de produits phytosanitaires, chimiques ou biologiques (cuivre et soufre), doivent ainsi avoir obligatoirement lieu aux heures où les abeilles dorment dans la ruche.

Et avant de recourir à ces produits, l’agri-apiculteur « oriente » au maximum la nature pour qu’elle « travaille » pour lui : dans chaque verger, des « hôtels à insectes » hébergent les bourdons sauvages de passage qui participent à la pollinisation des fleurs, des nichoirs accueillent les mésanges qui gobent insectes et vers nuisibles, et les rapaces ont leurs perchoirs pour repérer mulots et campagnols qui endommagent les racines des pommiers.

Et pour décourager le carpocarpse, un papillon de nuit dont la larve détruit les fruits, M. Prot compte sur la « confusion sexuelle ». Des diffuseurs de phéromones répandent l’odeur des papillons femelles dans le verger, ce qui a pour effet de désorienter les mâles. Incapables de trouver les femelles, ils ne s’accouplent pas. Pas de larves, pas de vers dans les fruits, et pas besoin d’insecticides.

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