Les incendies et la déforestation en Amazonie, objet d’une réunion vendredi de six pays sud-américains en Colombie, posent une nouvelle fois la question: comment l’humanité peut-elle protéger ses « espaces vitaux »?
5 août 2025: le gouverneur de Californie Gavin Newsom, soutenu par une « coalition d’États impliqués », annonce avoir donné au Brésil une semaine pour stopper la déforestation de l’Amazonie. Dans le cas contraire, il ordonnera un blocus naval ainsi que des frappes aériennes.
Stephen Walt, professeur de relations internationales à la Harvard Kennedy School, reconnaît lui-même que ce scénario, qu’il a écrit tout récemment pour la revue Foreign Policy, est « tiré par les cheveux » mais, dit-il, il a le mérite de poser la question: « Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour prévenir des dégâts environnementaux irréversibles? ».
Précisant à l’AFP ne pas recommander l’intervention militaire, le professeur souligne que « l’ONU estime depuis longtemps que les dommages à l’environnement sont une menace pour la paix et la sécurité internationales », conditions fixées dans l’article 42 de la Charte pour « recourir à la force ».
L’ancien leader russe Mikhaïl Gorbatchev avait déjà avancé l’idée d’un Conseil de sécurité écologique à l’ONU, avec l’envoi de casques verts. Cette idée est restée lettre morte.
« Il est de plus en plus établi qu’il y a un lien entre environnement et paix », abonde Yann Aguila, président de la Commission de l’environnement pour le Club des juristes, en France. « Al Gore n’a-t-il pas eu le Prix Nobel de la paix pour sa lutte contre le réchauffement? », rappelle l’avocat du cabinet parisien Bredin Prat, pour qui « la souveraineté, c’est comme la propriété, elle s’arrête là où commence celle des autres ».
Le président français Emmanuel Macron n’en pensait pas moins quand il avait qualifié de « crise internationale » les feux en Amazonie.
Conventions régionales
Mais « la pression des pays occidentaux peut être contreproductive », met en garde Lucien Chabason, conseiller auprès de la Direction de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), un institut de recherche indépendant basé à Paris.
La vive réaction du président brésilien nationaliste Jair Bolsonaro dénonçant les relents « colonialistes » de l’intervention de M. Macron, a rappelé cette sensibilité.
C’est pourquoi l’IDDRI favorise plutôt l’établissement de Conventions régionales de protection « qui permet d’impliquer les pays concernés, les rendant solidaires les uns des autres », souligne M. Chabason.
De telles ententes ont prouvé leur efficacité, comme la Convention pour la protection du Rhin (1999, cinq États plus l’UE) qui a permis qu’on se baigne aujourd’hui dans de nombreuses parties du fleuve.
Des conventions régionales similaires pourraient être utiles dans le cas amazonien, croit Michel Prieur, président du Centre international de droit comparé de l’environnement, qui cite le Pacte amazonien de 1978.
« Ce pacte peut être suffisant mais à condition qu’on s’en serve. Il ne va y pas avoir une convention internationale demain matin. Il faut se servir de l’existant », estime le professeur.
Établir de nouveaux mécanismes relève en effet de la gageure, comme créer des « espaces vitaux pour l’humanité ».
« Ecocides » à l’effet boomerang
« Cela pose le problème de la gouvernance, de la gestion et de la responsabilité de chaque État dans la gestion et la protection de ces espaces communs », prévient Martina Torre-Schaub, spécialiste du droit de l’environnement à l’université parisienne Panthéon-Sorbonne.
Tout aussi peu opérationnelle est la reconnaissance d’ »écocides », selon Mme Torre-Schaub, car elle « impliquerait d’identifier un responsable ». « Or, souvent, les actes s’étalent dans le temps, sont difficilement identifiables et il n’existe pas un seul coupable ou responsable », souligne-t-elle.
Ce concept a d’autant peu de chance de voir le jour qu’il a un effet boomerang: les Occidentaux « pourraient être poursuivis » si l’écocide est imprescriptible, comme le crime contre l’humanité, pour les dommages qu’ils ont jadis fait subir à leur environnement, prévient M. Chabason.
Plutôt que la coercition, la solution pourrait en fait reposer sur l’incitation.
« Les États qui gèrent de manière durable des territoires sensibles pourraient être payés pour les préserver dans l’intérêt de l’humanité », estime Stephen Walt.
L’ancien président équatorien Rafael Correa avait ainsi proposé en 2007 de ne pas exploiter le parc Yasuni, aux importantes réserves de brut, en échange de fonds équivalents à la valeur de cette ressource. Mais cette proposition a échoué et l’autorisation d’exploitation a finalement été donnée en 2013.
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© AFP – crédit photo: pixabay