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Clinton Pryor, 27 ans, achève ce week-end sa « marche pour la justice » de près de 6 000 kilomètres. A son arrivée à Canberra, il transmettra les doléances de sa communauté aux dirigeants de l’Etat.

C’est un jeune homme au visage encore glabre et poupin qui a embrassé la terre brûlante de l’Ouest australien, le 8 septembre 2016. Clinton Pryor, aborigène de 27 ans, a fait le pari fou de traverser tout un continent, à pied, pour marcher dans les pas de ses ancêtres et porter les doléances de son peuple jusqu’aux plus hautes autorités de l’Etat. Il devrait arriver dimanche 3 septembre à Canberra, la capitale, dans l’est du pays, après un périple de 5 580 kilomètres, dont l’ambition a fait sourire, baptisé : « La marche de Clinton pour la justice ».

A une centaine de kilomètres du but, ses traits fatigués, ensevelis sous une barbe broussailleuse, témoignent du chemin parcouru. « Il est devenu un homme, il a gagné le respect de toute notre communauté », se réjouit son oncle. Plusieurs fois, celui qui est désormais surnommé « le marcheur de l’esprit » a failli abandonner, éreinté. Mais il s’est accroché. Porté par une promesse faite à son père, peu avant sa mort, de se battre pour sa famille, son peuple et sa culture. Porté aussi par tous ceux qui, rencontrés au fil du chemin ou par les réseaux sociaux, l’ont soutenu pas après pas.

« Nous appartenons à une autre culture, nous devons nousintégrer dans une société qui n’est pas la nôtre, qui nous a dépossédés de nos terres et ne reconnaît pas nos droits. » Clinton Pryor

Ils sont une quinzaine ce soir-là – amis, activistes, simples visiteurs – à partager avec Clinton Pryor un repas frugal autour d’un feu de camp. « Je viens de Sydney, je vais marcher avec lui jusqu’à la capitale », explique une Australienne d’origine iranienne qui a longtemps milité pour les droits des réfugiés avant de consacrer son énergie à ceux qui « sont réfugiés sur leur propre terre ». « Ils sont les représentants d’une civilisation vieille d’au moins 65 000 ans, leur situation est choquante. » En grande partie décimés après l’arrivée des colons britanniques en 1788, les Aborigènes, qui représentent près de 3 % de la population, souffrent d’une multitude de maux associés à l’extrême pauvreté et à la marginalité : chômage, alcool, drogue, taux de suicide élevé, espérance de vie inférieure de dix ans à celle de leurs compatriotes.

« Nous appartenons à une autre culture, nous devons nous intégrer dans une société qui n’est pas la nôtre, qui nous a dépossédés de nos terres et ne reconnaît pas nos droits », dit Clinton Pryor, qui a grandi dans une petite communauté de l’ouest. A 16 ans, orphelin et sans-abri, il a failli sombrer avant d’entreprendre des études et de trouver du travail. Mais en 2014, quand le gouvernement d’Australie-Occidentale annonce la fermeture de 150 villages autochtones, le jeune homme décide de renouer avec ses racines pour défendre les siens. Après seize mois de mobilisation, il élabore ce projet d’une traversée de l’île-continent. « Dans la culture aborigène, on a toujours marché, explique-t-il. On marche pour se perdre et mieux se retrouver. »

Clinton Pryor (ici, le 5 août 2017) avait fait la promesse à son père, peu avant sa mort, de se battre pour sa communauté et sa culture.
Clinton Pryor (ici, le 5 août 2017) avait fait la promesse à son père, peu avant sa mort, de se battre pour sa communauté et sa culture. Clinton’s Walk For Justice

Une campagne de crowfunding

Les anciens lui conseillent d’aller voir les plus déshérités dans l’outback. Il choisit un itinéraire qui le conduira à la rencontre de ses pairs tout en suivant les chemins du Temps du rêve, une époque mythique durant laquelle, selon la cosmogonie aborigène, des ancêtres surnaturels créèrent le monde grâce à leurs déplacements et à leurs actions. A ses côtés, deux amis, à vélo et en voiture, assurent la logistique. Une campagne de crowdfunding permet de réunir des fonds pour survivre au quotidien.

Le périple est parfois merveilleux comme lorsque, au milieu de la terre rouge, apparaît Uluru, formation rocheuse sacrée pour les Aborigènes. Il est surtout ardu. Notamment ces seize jours dans le désert hostile, où sous un soleil de plomb, l’eau commence à manquer. Mais tout au long du trajet, sa communauté et d’autres Australiens l’ont aidé, accueilli, encouragé. Ils lui ont aussi raconté leurs histoires, leurs difficultés et leurs souffrances.

 

C’est chargé de ces récits, et pour dénoncer toutes les injustices, que Clinton Pryor espère être reçu par les plus hauts responsables du pays. Le gouverneur général d’abord, représentant de la reine Elizabeth II, chef de l’Etat australien. « En arrivant ici, les Anglais ont déclaré cette terre “nullius”, c’est-à-dire n’appartenant à personne car non cultivée. Nous voulons que l’Australie corrige cette erreur et nous reconnaisse en tant que peuple souverain en signant un traité. » C’est ce qu’avaient réclamé en mai quelque 250 représentants de la communauté aborigène, lors d’un sommet historique, appelant aussi à la formation d’un organisme officiel qui les représenterait au Parlement. La classe politique est divisée sur le sujet et le gouvernement actuel, peu réceptif à l’idée. Mais Clinton Pryor veut y croire. Les dirigeants le recevront-ils ? « Oui, assure-t-il. Je n’ai pas marché 5 580 kilomètres pour rien. »

crédit photo: Orphelin et sans-abri à 16 ans, Clinton Pryor a réussi à faire des études et à trouver du travail. Lydia Shaw

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