Pour la quatrième fois en moins de quarante ans, Paris se prépare à accueillir l’Exposition universelle. Un moment symboliquement fort puisqu’elle est programmée en 1889, cent ans après la Révolution française et quelques mois après la crise boulangiste qui a ébranlé l’autorité de l’Etat. Il s’agit de frapper un grand coup, de montrer la solidité du régime républicain et sa puissance sur la scène internationale. Quoi de mieux alors que l’érection de la plus haute tour du monde pour attirer et impressionner les visiteurs.

« Un squelette disgracieux et géant. »

Guy de Maupassant

Assez ironiquement, la Tour Eiffel, symbole de Paris et de la France, a longtemps eu pour détracteurs les meilleurs représentants de notre culture. Verlaine, Maupassant ou encore Huysmans n’avaient qu’une seule hâte, qu’elle soit démontée une fois l’Exposition universelle de 1889 terminée. Les propos de ces grands hommes de lettres sont savoureux. Lorsqu’on demandait à Maupassant pourquoi il déjeunait régulièrement au restaurant du premier étage de la Tour Eiffel, il répondait en soufflant: « C’est le seul endroit de la ville où je ne la vois pas. » Le poète Verlaine partage cet avis lorsqu’il qualifie la Dame de fer de « squelette de Beffroi ». Huysmans aura l’esprit plus imagé en la comparant à « un suppositoire criblé de trous. » Mais 131 ans plus tard, elle trône toujours sur la place du Champ-de-Mars. Et si nos grands écrivains avaient du mal à envisager Paris avec le maintien permanent de ce grand échafaudage, nous ne pourrions imaginer, aujourd’hui, notre capitale sans lui.

Un projet majestueux à la hauteur des ambitions françaises

 

Pour frapper fort, l’Etat organise un grand concours où toutes les sociétés d’architecture sont invitées à proposer des projets ambitieux pour faire rayonner l’image de la France et surpasser les expositions universelles organisées par les voisins européens. Ce n’est pas la première fois que la France en accueille une, elle en est à sa quatrième après 1855, 1867 et 1878 mais la dernière à Bruxelles, en 1887, a fait forte impression et la puissance mondiale qu’est l’Hexagone ne peut pas se permettre d’être en dessous.

Gustave Eiffel, un ingénieur centralien réputé, reprend l’idée de ses employés de construire la plus grande tour du monde, reposant sur quatre pieds massifs et s’élevant dans le ciel à 300 mètres de hauteur. Le projet est retenu et le choix est fait de construire ce monument en fer au milieu du Champ-de-Mars, comme une porte d’entrée majestueuse sur le reste de l’exposition. Les travaux débutent en 1887 et se terminent le 31 mars 1889, quelques jours seulement avant l’ouverture de la dixième Exposition universelle de l’Histoire. Et malgré toutes les critiques de la presse, ou peut-être pour cette raison, la Dame de fer devient l’attraction à voir. Du 5 mai au 31 octobre 1889, près de 30 millions de visiteurs se rendent à Paris, un record depuis la première exposition de Londres en 1851.

Promise à la démolition, elle est toujours là

Initialement, l’édifice devait rester sur le Champ-de-Mars pendant 20 ans et donc être démonté en 1909. Mais la hauteur de la Tour Eiffel est perçue par les militaires comme un potentiel atout. Alors que la télégraphie sans fil se développe, des expériences sont menées au sommet de la tour. Ce point culminant permet d’émettre et de recevoir des messages de longue portée, donnant à la France un avantage stratégique en cas de conflits. Alors le bail du « squelette disgracieux et géant », selon la formule de Maupassant, est prolongé pour 70 ans. La Tour Eiffel a été d’une précieuse aide lors du premier conflit mondial, entre 1914 et 1918, puisqu’elle a permis d’obtenir des renseignements capitaux juste avant l’attaque de la Marne. Devenue utile et jugée de plus en plus belle au fil du temps, notre chère Dame de fer dispose désormais d’un bail renouvelé pour l’éternité.

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