Grandir ou partir…
Ce livre traite du courage d’être soi dans ses relations amoureuses pendant la seconde partie de sa vie,
quitte à rompre et à repartir de zéro pour vivre des amours d’emblée plus mûrs et donc plus gratifiants et épanouissants.
 
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Extrait:

Médiocres mariages

Il m’a fallu des années pour l’admettre, même en mon for intérieur. Pourtant, je ne suis pas dans le déni, et je ne me sens pas vulnérable ; on me voit souvent comme une femme forte et pleine de confiance en soi.

Mon couple ? Pour tout le monde, c’était le mariage parfait – même mon mari avait fini par s’en convaincre, alors comment ne pas le croire ? Qui étais-je pour prétendre que les beaux enfants, la jolie maison, le salaire confortable et la carrière en plein essor ne suffisaient pas ? Pourtant, dès que j’ai commencé à creuser, je me suis rendu compte qu’une frustration après l’autre, notre habitude d’éviter le conflit à tout prix avait fini par me déconnecter totalement de mon partenaire – et, pire, de moi-même.

Ma mère n’en a pas cru ses oreilles.

Ce n’est pas seulement la nouvelle de notre séparation qui l’a choquée ; c’est le fait de n’avoir rien vu venir. Nous sommes très proches. Il faut croire que j’ai bien joué la comédie…

Cette comédie, je crois que j’en ai été la première specta- trice, la première victime. Elle a dû commencer autour de mes 40 ans, quand j’ai commencé à en avoir un peu marre de la routine, de notre relation distraite et toute centrée – comme souvent dans notre génération – sur les enfants.

Et pendant des années, ça a très bien marché. Nous formions un couple bien assorti, nous nous soutenions mutuellement. Mais nos griefs grandissaient en même temps que nos rejetons ; plus ils poussaient, plus je me sentais impatiente. Mon mari, comme ses parents avant lui, s’est révélé le père idéal pour des enfants en bas âge. Il aimait sa famille plus que tout, et il lui consacrait toute sa vie, toute son énergie. Et c’est ainsi qu’il s’est entièrement identifié à elle – la notion même de famille est passée avant notre couple, avant lui-même.

Ça a très bien fonctionné tant que nos enfants étaient petits ; ils avaient besoin de ça. Mais en devenant des ados, ils ont eu envie de davantage de liberté. Je trouve que les enfants ont des points communs avec les animaux domes- tiques : au début, comme des chiots enthousiastes, ils vous vénèrent, ils débordent d’affection et ne peuvent pas se passer de vous. C’est très agréable : se sentir la personne la plus importante au monde aux yeux de quelqu’un engendre une puissante émotion, au point que certains parents s’y accrochent. Comme ils ont besoin de se sentir nécessaires, ils construisent une importante part de leur personnalité autour de leur progéniture, qui leur fait office de sens de la vie. Mais l’adolescence transforme nos gentils chiots en chats – avec toute l’indépendance et le caractère que ça suppose. C’est eux qui décident l’endroit et le moment où ils vont vous sauter sur les genoux, et ils ne se mettent à ronronner que si vous les caressez exactement dans le sens du poil… Les chiots ont besoin d’amour, ils vous font la fête quand vous rentrez chez vous. Les chats n’aiment que la liberté, ils veulent être compris et imposer leurs règles – alors seulement, ils acceptent votre affection.
Au fond, j’ai toujours pensé que le vrai rôle d’un parent, c’était de permettre à ses enfants de passer de chiot à chat, avant de partir, dans la joie et la confiance, vivre leur vie (avec au passage un petit miaulement méprisant). Mais l’indépendance a deux tranchants. Dans son livre L’art d’aimer*, Erich Fromm écrit que le rôle principal d’une mère, c’est d’être heureuse. Ainsi, elle peut transmettre à ses enfants l’impression que l’optimisme et la joie sont possibles. Cette idée résonne en moi, et j’ai accepté le principe que ce que je dois à mes enfants, et en particu- lier à ma fille, c’est d’être heureuse. Voilà bien le principe féministe ultime : on prend soin de soi pour donner de la force à ses enfants.

Être parent est devenu un sport à hauts risques, aux enjeux élevés – et de fait, les parents investissent souvent dans leurs enfants, en plus de leur temps, leurs ambitions et leurs identités… ce qui ne fait pas vraiment de bien au mariage. En effet, les parents se retrouvent souvent trop fatigués, trop sollicités ou trop occupés par leurs enfants pour consacrer à leur couple le temps nécessaire pour le faire évoluer harmonieusement à travers les années. Mary Bast, une excellente coach avec qui j’ai travaillé, m’a un jour envoyé ce résumé des quatre grandes étapes du couple.

1. Amour, projection, « tu es comme moi ». C’est la phase où on a l’impression d’avoir rencontré le ou la partenaire parfait.

2. Travail, engagement, enfants. Dans cette partie du milieu du mariage, on cherche à construire – les identités, la famille et/ou les carrières.

3. Crise : la déception du « Tu n’es pas comme moi ». Un jour ou l’autre, tous les couples débouchent sur une cruelle révélation. L’autre n’est pas celui ou celle que j’imaginais, il n’est pas à la hauteur de mes attentes. Je me sens perdu, voire trahi.

4. Réparer, repartir. Le travail sur ces crises est la clé des relations qui durent. Il faut que les deux partenaires aient envie de mettre la main à la pâte pour le bien commun. Cela requiert volonté et attention.

Un mariage qui dure, c’est du travail – à la fois sur soi et sur le couple que l’on crée. Souvent, le couple est plus que la somme de ses deux composantes, mais il n’en reste pas moins que chacun doit travailler sur soi. Il faut être deux pour faire un couple.
Et j’ai travaillé dur. Dur sur moi-même, dur sur le couple. Rétrospectivement, je suis désolée pour celle que j’étais et qui s’est donné tant de mal. J’ai un peu honte de mon optimisme à tous crins, qui me persuadait que je pouvais arranger notre mariage comme j’arrangeais tant de choses – à force de bonne volonté, de choix avisés et de paroles. Et pourtant, malgré tous mes efforts, j’ai échoué.
Je suis devenue coach en 2000 ; à travers cette expérience, j’ai beaucoup appris sur moi-même. Au début, je suis intervenue à l’antenne française de l’Insead, une école de commerce internationale, où j’ai pu écouter et conseiller des centaines d’étudiants qui se lançaient dans la vie. J’ai passé les années suivantes à coacher des centaines de cadres dans plusieurs sociétés à travers le monde. En 2007, un peu déçue par mon mariage et par mes tentatives de le renégocier, je me suis lancée dans une nouvelle formation d’un an auprès de l’Institut qui m’avait formée*. Il s’agis- sait de découvrir quel type de meneuse je pouvais être, et comment cela agissait sur les autres. J’ai décidé de développer un travail sur deux axes : trouver mon style, d’une part, et comprendre quel impact il avait sur mon mari. Ce qui s’est révélé plutôt éprouvant…
 

La formation comprenait quatre sessions d’une semaine en Espagne. Au terme de la première, après une semaine intense d’un point de vue physique, psychologique et émotionnel, je me suis retrouvée dans un sublime manoir au bord de la mer Méditerranée. Je me suis mis à réflé- chir à notre routine de couple. D’où j’étais, j’avais une vue très claire, me semblait-il : mon besoin d’autonomie déclenchait les insécurités de mon mari, qui le poussaient à redoubler d’efforts pour « lier » notre famille ; or cela déclenchait en moi un réflexe claustrophobique, qui le poussait à craindre que je le quitte – ce qui le mettait encore plus sur la défensive –, ce qui me donnait l’impres- sion qu’il ne m’écoutait pas plus qu’il ne me voyait… Et ainsi de suite. Chaque couple a ses modes de fonctionne- ment. À moins d’en prendre conscience, on finit par ne fonctionner que dans des schémas bien établis, par réflexe et par routine.

Et c’est terriblement déprimant. Surtout quand l’un des deux connaît tellement bien les schémas qu’il peut prédire à coup sûr ce qui va se passer dans la prochaine dispute, tandis que l’autre ne voit rien… ou ne veut rien voir. Alors, l’envie disparaît à coup sûr. Plus j’apprenais, plus j’écoutais, mieux je voyais nos modes de fonctionnement. Et plus j’en prenais conscience, plus je souhaitais y mettre un terme. Un des exercices de notre formation consistait à marcher avec un partenaire sur deux cordes raides parallèles tendues à 10 mètres de haut. Pour se tenir, nous ne disposions que d’un bâton dont chacun tenait une extrémité. Le but du jeu était de se tenir face à face, chacun légèrement penché en arrière pour trouver un équilibre avant de se déplacer en crabe sur la corde. L’entente ainsi formée était renégociée en permanence, non par des mots mais à travers le bâton. C’était un exercice génial – et une parfaite métaphore du mariage.

Il faut être deux pour trouver sans cesse l’équilibre du couple sur la corde raide de la vie; celui-ci demande des ajustements permanents, à chaque seconde, aux besoins et aux émotions de l’autre. Quand on cesse de s’adapter, on tombe, un point c’est tout.

Pour cet exercice, mon vis-à-vis était un homme religieux, qui n’a cessé d’invoquer Allah pendant toute la session. Sur la corde, il se penchait très en arrière, tirant sur le bâton. Pendant un moment, j’ai résisté de toutes mes forces, en le suppliant de se redresser avant de nous faire tomber tous les deux. Il n’a rien voulu entendre. Pour finir, mes bras ont lâché – je n’en pouvais plus de retenir quelqu’un qui pesait deux fois mon poids. Je suis tombée, et lui aussi, bien entendu, vu que je ne faisais plus contrepoids.

Le plus amusant, c’est qu’après nous être relevés – il y avait par bonheur un filet –, il est venu me reprocher de ne pas lui avoir fait confiance. Il était persuadé d’avoir tout fait pour nous garder en équilibre, et mon comportement le décevait beaucoup. L’ensemble du groupe a écouté ses récriminations avec stupéfaction, parce que, même depuis le sol, ce qui s’était passé était évident. Il n’en a pourtant pas démordu avant de voir, le lendemain, la vidéo de notre performance ; alors seulement, il a admis qu’il pouvait avoir une certaine responsabilité dans notre chute. Jusque-là, dans sa tête, c’était entièrement ma faute.
Là encore, la métaphore était parfaite… pour mon mariage. Quand on cesse de s’adapter, on tombe. Mon ex-mari et moi, nous étions littéralement incapables de nous pencher sur notre relation pour prendre soin des problèmes sous- jacents. Comprendre et renégocier les besoins respectifs est une tâche aussi complexe que nécessaire dans un couple, surtout à l’âge mûr. Elle est d’autant plus difficile quand on n’a pas appris dès le début l’importance des concessions. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à danser – mais il faut impérativement que les deux partenaires aient envie de connaître de nouveaux pas. Quand l’un se penche sans que l’autre y prête attention, c’est la chute assurée. Combien de couples vivent dans une telle asymétrie ? Des millions, sans doute.

En tout cas, je me suis rendu compte que mon mari et moi n’étions pas les seuls. Beaucoup d’hommes, comme lui, font honnêtement tout ce qu’ils peuvent, comme on le leur a appris. On les a élevés pour gagner l’argent du foyer, et pour considérer cette tâche comme essentielle. Les maris d’aujourd’hui, souvent à la demande de leur femme, savent aussi s’engager dans la parentalité et sont très attachés à leurs enfants. Et donc, comment pouvais-je me montrer aussi ingrate? Qu’est-ce que j’attendais des hommes ? Que demander de plus à un mari que d’être un bon père, un compagnon fidèle et un colocataire serviable ? Pour répondre en un mot : l’amour. Je veux et j’exige l’amour, j’en ai besoin, absolument. Et en particulier l’amour physique. Dans le New York Times, Erica Jong écrit que « le plaisir physique unit deux personnes et leur permet de supporter les peines et les douleurs inhérentes à la condition humaine. Quand le sexe devient ennuyeux, c’est en général signe d’un problème plus profond – le reproche, la jalousie, le manque d’honnêteté. » C’est vrai pour l’ensemble du mariage. Quand un des deux parte- naires veut partir, quand il s’ennuie, c’est souvent le signe d’un malaise sous-jacent. Or, si les femmes ont plutôt tendance à accepter de discuter et de creuser ce malaise, ce n’est en général pas le cas des hommes, peu familiers avec ce type de conversations. Pourtant, à défaut d’une honnêteté sans faille, à la fois envers soi et envers l’autre, les couples qui durent frôlent trop souvent le « syndrome du colocataire » – les deux personnes vivent dans une amicale indifférence.

 

Nina est une femme d’affaires à succès, qui vit à l’autre bout du monde, à New Delhi, en Inde. Et pourtant, son histoire ressemble beaucoup à la mienne. En couple depuis seize ans, dans un mariage apparemment parfait, elle se rend compte peu à peu que le mariage en ques- tion, de façon subtile, presque imperceptible, l’empêche d’être celle qu’elle sait pouvoir devenir. « Mon mari m’a toujours trouvée un peu “trop”, explique-t-elle. Trop géné- reuse, trop gentille. Il était indulgent, il pouvait m’accepter comme j’étais, mais de façon sous-jacente il attendait que je me pose, que je me calme avec l’âge et avec le temps. Moi, au contraire, j’étais tout le temps en train de cacher ou de minimiser ce qui me rendait la plus fière. Il avait le sentiment que tout lui était dû, tandis que je vivais dans la gratitude. Je donnais de l’argent, j’aidais les gens. Il en retirait l’impression que j’avais besoin d’être protégée. Il avait peur que les autres abusent de ma gentillesse. Pour ma part, j’avais envie de changer, de ne pas devenir celle qu’il attendait… » Un jour, elle s’est réveillée en ayant compris qu’en cherchant à créer une vie parfaite pour son mari, elle sacrifiait la sienne.

Ailleurs dans le monde, Lucy ressent la même chose quand elle découvre après vingt-huit ans de mariage que son époux est gay et a plusieurs liaisons. Mariée à 22 ans, sevrée de sexe depuis quinze ans, elle n’en reste pas moins avec lui en se disant qu’à part ça, tout va bien. « Je n’ai pas compris tout ce que j’avais abandonné de moi pour ce mariage. Il faisait ce qu’il voulait et j’acceptais. Je ne me rendais même pas compte que ce qui comptait, c’était ce qu’il aimait. Moi, je préférais les Stones à la musique classique, mais on n’a jamais mis les pieds dans un concert de rock. J’ai dû apprendre à écouter mes propres envies, à trouver mes centres d’intérêt. Qui suis-je ? Trop fusion- nelle, je le laissais mener notre couple. »

Ce sont les poètes qui expriment le mieux ce sentiment, cette frustration de l’absence de communication. «Le silence est effrayant, écrit David Whyte, une indication de la fin, le cimetière des identités figées. Le vrai silence fait honte à notre compréhension du moment ; il fait de nous des orphelins de nos certitudes ; il nous entraîne au-delà de la réalité connue et acceptée, nous met face à l’inconnu et à la conversation, jusque-là inacceptable, qui va s’abattre sur nos vies*. »

Des millions de livres proposent des recettes pour rester ensemble, ne serait-ce que le fameux Les couples heureux ont leurs secrets** de John Gottman. Dans une interview, celui-ci prétend, à partir d’équations mathématiques, prévoir en quelques minutes l’avenir d’un couple. Il identifie quatre comportements, qu’il surnomme les « quatre cavaliers de l’apocalypse », et dont l’apparition sonne le glas d’un mariage.
 

1. Critiquer – c’est le commentaire anodin en apparence, mais lourdement chargé de sens et blessant.

Après l’amour Sara Teasdale

Il n’y a plus de magie désormais
On se croise comme tout le monde
Tu ne fais plus de miracles pour moi
Ni moi pour toi.
Tu étais le vent et j’étais la mer –
Il n’y a plus de splendeur désormais,
Je suis devenue inerte comme l’étang
Loin du rivage. Mais si l’étang est à l’abri de l’orage En sursis loin des marées,
Il devient plus amer que l’Océan Abandonné à lui-même.

2. Mépriser – lorsque l’autre, parfois d’un simple mot ou d’un regard, nous donne l’impression que nous avons tort, que nous ne valons rien.

3. Se mettre en position défensive – on prend le rôle de la victime, en laissant entendre à l’autre qu’il en demande trop ou qu’il est franchement tordu.
4. Boucher les écoutilles – une stratégie d’évitement, où l’un des deux s’en va par exemple en plein milieu d’une conversation, pour ne jamais parler des sujets qui fâchent.

Les deux premières attitudes mènent ainsi à la troisième, jusqu’à ce qu’un des partenaires (l’homme, en général, aux dires de l’auteur) en vienne à la quatrième. Pour ma part, je vois un autre problème, à la fois plus doux et plus dange- reux, en tout cas réellement destructeur : l’indifférence.

« L’essentiel est invisible pour les yeux »

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Ce qui a vraiment tué mon couple ? C’est que je n’en avais plus rien à faire. Je ne ressentais plus rien. L’amour un jour s’en est allé, comme si quelqu’un avait éteint la lumière après des années d’efforts infructueux pour renouer le lien. À l’instar de nombre de femmes de mon âge, j’avais l’im- pression d’être entrée dans la plus belle période de ma vie. Pour la première fois, j’étais contente de moi, plus que fière de mes enfants, très impliquée dans mon travail et passionnée par ce que je faisais. Enfin – et pas trop tôt ! – j’étais devenue celle que je voulais être. Je m’en félicitais, et mes amis le voyaient aussi. Mais tandis que tout le monde m’applaudissait, me soutenait et m’encourageait, j’avais la nette impression que ça n’intéressait pas mon mari. Il se sentait peut-être menacé ; en tout cas, derrière sa façade de père parfait et de compagnon fidèle, je sentais un cruel manque de soutien.

Ça m’a frappée le jour où j’ai achevé mon premier livre. Depuis toujours, je rêvais de devenir écrivain. Mes parents étaient tous deux des universitaires ; les livres et l’écriture m’accompagnent depuis mon enfance, et restent mes amis les plus chers. De façon inexplicable, je me sentais toute- fois incapable d’écrire. Au début de ma carrière, je me suis essayée au journalisme, mais je ne connaissais ni écrivains ni éditeurs, et ma formation initiale m’avait appris à coder des programmes informatiques, pas à devenir écrivain. Je dois dire qu’à l’époque, la confiance en soi n’était pas ma qualité première. Qui plus est, le fait de vivre en France m’a coupée pendant des années de ma langue maternelle. Pourtant, j’ai fini par trouver le courage de m’y mettre, grâce à mon travail. À 45 ans, j’étais devenue une spécia- liste relativement reconnue de l’égalité des sexes. Avec l’aide d’une amie, j’ai proposé un sujet de livre à un éditeur, avant de demander à une autre amie de m’aider à le rédiger. J’avais 47 ans le jour où j’ai appuyé sur la touche « envoi » du mail qui contenait le manuscrit final. Avec ma coauteur, Alison Maitland, nous avons fêté ça par des cris de joie et de chants (par Skype interposé) avant d’an- noncer la nouvelle à nos maisonnées respectives. Quand ils sont rentrés de l’école, mes enfants se sont montrés impressionnés (et sans doute un peu soulagés de savoir que j’avais enfin fini le travail qui me demandait tant de temps). Mon mari est revenu tard de son travail, si bien que nous sommes passés directement au dîner. À table, il m’a demandé comment s’était passée ma journée ; avec une excitation mal contenue, je lui ai annoncé que le livre était bouclé et chez l’éditeur. Il a levé son verre, lancé « Félicitations » avant de se tourner vers notre fille pour lui lancer : « Et toi, c’était bien ? »

J’en suis restée bouche bée. Comment avions-nous pu en arriver là ? Je venais d’être témoin de la négation complète – ou bien de l’ignorance, à moins que ce soit du refus – de ce qui comptait le plus pour moi. Et ce n’était sans doute pas intentionnel, peut-être même pas conscient. Soudain, je n’ai plus reconnu notre mariage. Avais-je fait de même avec ses rêves et ses désirs ? Non, ce n’était pas le couple que je croyais avoir construit avec lui. J’avais l’impression que nous étions désormais séparés par un gouffre, et je me sentais terriblement seule, abandonnée. J’avais enfin affirmé qui j’étais, en quoi je croyais… et pour l’homme qui partageait ma vie, cela semblait sans importance, voire un peu gênant. J’étais accablée.

À l’opposé, un autre moment m’a marquée. Dans un effort pour réparer notre couple, nous nous étions offert un week-end en amoureux dans une ravissante pension en Italie, sur le lac de Garde. Près de nous, dans le jardin idyllique où nous prenions notre petit déjeuner, se trouvait un autre couple en grande conversation. Apparemment, la femme était bouleversée – elle parlait sans cesse, dans un flot véhément. L’homme l’écoutait avec attention. Soudain, elle a fondu en larmes et enfoui sa tête dans ses mains. La réaction de son compagnon m’a prise au dépourvu : sans un mot, il s’est levé, a rapproché sa chaise de celle de la femme, et l’a prise dans ses bras. Et soudain, c’est moi qui ai éclaté en sanglots. Dans ce geste, j’ai vu un amour immense, la compréhension, la maturité. Il ne cherchait pas à réparer quoi que ce soit – juste à la réconforter, à être là. J’ai pensé Voilà ce que je veux. La possibilité d’être fragile, vulnérable. La certitude d’avoir une épaule sur laquelle pleurer – une épaule qui réconforte et qui accepte mon chagrin.
 
Le livre:

source: JDBN – crédit photo: capture