Avec son projet Cannes On Air, la Cité des Festivals entend capitaliser sur son image de temple du cinéma pour devenir le pôle d’attraction de l’économie créative et audiovisuelle. A l’Est comme à l’Ouest de la ville, les projets s’organisent, certains bien avancés, d’autres encore en gestation. Un écosystème en cours de construction…

« Nous voulons faire de la Côte d’Azur la Silicon Valley de la création audiovisuelle avec quelques épicentres parmi lesquels les studios de la Victorine à Nice et la ville de Cannes, évidemment« . D’emblée, David Lisnard donne le ton. Et confirme son ambition de faire de la Cité des Festivals un pôle d’attraction pour le 7e Art et l’économie créative. Il faut dire que le moment s’y prête. Le 21 mai dernier, le premier édile accueille l’équipe de Qwant, le moteur de recherche européen dont le volet « Art » consacré aux œuvres cinématographiques, audiovisuelles et à la culture en général s’implante à Cannes. Dans le quartier de Forville précisément. Quelques heures plus tard, au sein de l’hôtel de Ville cette fois, alors que l’effervescence s’empare de la Croisette suite à l’entrée en compétition du dernier film de Quentin Tarantino, l’ambiance est aussi à la fête, quoique plus mesurée, face à l’écran où défilent les chiffres recueillis par la Commission du Film des Alpes-Maritimes. Ils dressent un bilan des tournages réalisés en 2018 sur la Côte d’Azur qui fait apparaître, avec 405 projets (dont 15 longs métrages et 6 séries TV) pour 1641 jours de tournage, « un nouveau record« , explique Stéphanie Gac, sa responsable opérationnelle. « La volonté de maintenir les tournages plus longtemps sur le territoire s’est concrétisée avec l’augmentation de 7% des jours de tournage et un intérêt confirmé des productions étrangères pour la Côte d’Azur« , analyse-t-elle. Économiquement parlant, cela se traduit par 22150 nuitées hôtelières, 58,6 M€ de retombées financières directes et environ 10 000 postes pourvus localement. Comme quoi, à Cannes, les projecteurs ne s’éteignent pas forcément avec la remise de la palme d’or.

Pleins feux sur les métiers de l’écriture

Toutefois, pour le maire de Cannes et président de la Commission du Film 06, il convient d’aller plus loin en soutenant activement la création d’un écosystème propice au développement des industries culturelles et créatives. En particulier celles ayant trait à l’audiovisuel au sens large qui regroupe, selon une étude de la CCI Nice Côte d’Azur, 300 entreprises azuréennes, 1 650 emplois pour un chiffre d’affaires annuel de 200 M€. C’est tout l’enjeu du projet territorial Cannes On Air qui vise à structurer la filière en assemblant, maillon après maillon, une chaîne de valeur « unique en Europe« .

Et parce qu’un film, « c’est une histoire, encore une histoire, toujours une histoire« , souligne David Lisnard en paraphrasant Hitchcock, l’accent a d’abord été mis sur la formation aux métiers de l’écriture via des partenariats noués avec l’INA, Vivendi, Canal +, UCLA, Serial Eyes, le Festival de Cannes et CanneSéries. Une offre qui sera complétée à la rentrée universitaire par de nouvelles formations supérieures de niveau DU, Licence et Master délivrées au sein d’un bâtiment mutualisé de 8100 m² qu’un millier d’étudiants devraient investir dans « sept mois. » Le compte à rebours est lancé.

Pôle d’excellence de la Bastide Rouge

Ce futur campus développé à La Bocca avec l’Université Côte d’Azur constitue la pierre angulaire du technopôle de l’image Bastide Rouge porté sur les fonts baptismaux en 2014 avec la création de la pépinière CréaCannes. Il hébergera un hôtel d’entreprises de 2 000 m² d’ici à la fin de l’année où une centaine de jeunes pousses – c’est l’objectif visé – aura accès à des équipements techniques couvrant la chaîne de post-production. Enfin, outre une résidence étudiante de 150 logements, un multiplexe de 12 salles et 2426 fauteuils financé par la Compagnie cinématographique de Cannes pour 32 M€ et conçu par l’architecte Rudy Ricciotti apportera la touche finale à ce pôle d’excellence dont l’investissement total avoisine les 80 M€.

Des financements privés aussi

Plus à l’Est, en cœur de ville, un autre pôle créatif attend son heure. Dédié aux arts visuels et baptisé L’Avant-Garde, il proposera 1 250 m² de studios, auditoriums et autres régies d’effets spéciaux. Porté par deux entrepreneurs issus de la filière audiovisuelle, Laurent Aurion et Karim Succar, il vise à accueillir les professionnels de l’image, du son et des nouveaux médias. Ceux du cru comme ceux venus d’ailleurs. Le hic ? Un contentieux de voisinage bloque la transformation de cet ancien bâtiment industriel estimée à 7 M€ et prévue pour durer 15 mois. Alors, en attendant la purge des recours, une réflexion est en cours pour délivrer « un équipement intermédiaire« , histoire de « tenir au chaud les entreprises« . A cet égard, l’ex-site d’Ansaldobreda, plus à l’ouest de la commune, pourrait bien apparaître comme une solution de repli temporaire. Implanté dans un secteur placé en zone d’aménagement différé (ZAD), ce terrain de 5,6 hectares, racheté par la municipalité via l’Etablissement public foncier régional et « figé dans le PLU pour éviter toute spéculation immobilière« , est censé accueillir « un plateau de tournage (flux et fictions) de 8 000 m² qui serait le premier d’Europe« . A condition toutefois de trouver des partenaires privés ! Car, insiste le maire, « la filière de l’économie créative nécessite l’implication de tous, des privés, des artistes, des collectivités et de l’Etat« .

Un Guggenheim du cinéma

L’Etat justement. Ce dernier semble regarder d’un œil bienveillant l’initiative cannoise si l’on en croît le ministre de la Culture Franck Riester. Lequel a assuré lors de la Séance des Questions au Gouvernement du 29 mai sa « volonté d’accompagner Cannes dans la politique ambitieuse qui est la sienne en matière de développement de cette filière cinématographique et audiovisuelle« . Laquelle prévoit également « de doter la France d’un Guggenheim du cinéma« . Vieux serpent de mer azuréen, ce musée à l’aura internationale serait-il donc en passe de se concrétiser ? « Nous travaillons sur ce projet depuis deux ans en temps masqué et de façon discrète avec le CNC et la cinémathèque« , indique le maire. A cet égard, la prochaine échéance est fixée au 17 juin, date à laquelle le conseil municipal est appelé à délibérer sur l’assistance à maîtrise d’ouvrage de ce futur « objet architectural » qui pourrait voir le jour à proximité du Suquet, dans le prolongement de la médiathèque Rothschild qui héberge depuis 2018 des scénaristes en résidence.

Légitimité et indépendance

« La mayonnaise est en train de prendre, l’écosystème est certes encore fragile mais dans quatre à cinq ans, on aura les infrastructures« , assure David Lisnard. Pour qui, « l’enjeu est autant économique qu’identitaire pour le territoire dont la légitimité est indiscutable« . La carte de la complémentarité avec le positionnement de la Ville et un Palais des festivals dont une nouvelle phase de rénovation de 61,5 M€ vient d’être actée, constitue en effet l’une des pièces maîtresses de ce projet global qui veut faire de la Côte d’Azur en général, et de Cannes en particulier, le terreau fertile « d’une production indépendante française« . « C’est quelque part l’objet du rapport Boutonnat qui souligne l’importance de garantir une production indépendante pour ne pas être, demain, les prestataires ou sous-traitants des grandes plateformes américaines et asiatiques« .

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