Les parents canards carolins ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier. En tant que parasites de couvée, ils les disposent dans les nids d’autres oiseaux.

« Oh, on a un bébé hibou, c’est super ! »

Voilà les premiers mots de Laurie Wolf lorsqu’elle a aperçu une petite boule duveteuse se trémousser dans le nichoir de son jardin, en Floride. Un petit-duc maculé y avait élu résidence un mois plus tôt, elle imaginait donc que c’était un de ses œufs qui avait éclos.

La vérité était autrement plus insolite.

Alors que le ciel se couvrait, laissant présager une tempête, Wolf et son mari purent apercevoir brièvement la mère petit-duc sortir sa tête du nichoir avec à ses côtés une petite pelote noire et jaune… un caneton.

« Tous deux étaient assis là côte à côte, » raconte Wolf, artiste animalier et photographe amateur. « C’est incroyable. Je n’y crois toujours pas aujourd’hui. »

Inquiets face à la possibilité que le hibou puisse s’en prendre au bébé canard carolin, Wolf décida de contacter un spécialiste des rapaces qui lui confirma que le caneton était peut-être en danger. Un refuge local pour les espèces sauvages accepta de prendre soin de l’animal si elle parvenait à l’attraper.

Mais alors qu’elle et son mari s’apprêtaient à intervenir, le caneton sauta du nichoir avant d’entamer une course effrénée en direction d’une mare voisine. Le couple n’a pas revu la petite créature depuis.

« Je pense que je ne revivrai jamais une expérience comme celle-ci, » confie Wolf.

Il n’est toutefois pas impossible que cela lui arrive à nouveau : la cohabitation entre canards carolins et petits-ducs maculés a déjà été scientifiquement constatée.

« Les observations ne sont pas très fréquentes mais une chose est sûre, ça arrive, » rapporte Christian Artuso, directeur de l’organisation Études d’oiseaux Canada pour la province de Manitoba. Il avait lui même observé une situation similaire en 2005 alors qu’il étudiait les petits-ducs maculés pour son doctorat.

Dans son cas, la femelle hibou avait pu couver puis faire éclore trois œufs, donnant naissance à trois canards carolins, raconte Artuso qui publia sa découverte en 2007 dans la revue Wilson Journal of Ornithology.

 

UNE NICHÉE PAS COMME LES AUTRES

En fait, les canards carolins sont connus pour pratiquer le parasitisme de couvée. Cela signifie que les parents canards déposent un œuf ou deux dans le nid d’un autre, généralement celui d’un autre canard carolin ou d’une espèce proche.

« C’est un peu ne pas mettre ses œufs dans le même panier, » illustre Artuso. « Si vous éparpillez vos œufs, alors vos chances de transmettre vos gènes aux générations suivantes augmentent légèrement, notamment lorsque vos œufs sont la cible de prédateurs. »

Il existe également d’autres exemples d’oiseaux de proies couvant les œufs d’ansériformes, notamment une crécerelle d’Amérique couvant un petit garrot et un balbuzard pêcheur prenant soin de la ponte d’un bernache du Canada.

Les canetons carolins sont précoces, ce qui signifie qu’ils peuvent survivre seuls à un très jeune âge.

L’observation d’Artuso n’est d’ailleurs pas la seule publication liée à un parasitisme de couvée impliquant un petit-duc maculé.

« Nous savons que cela arrive, mais nous ne savons pas à quelle fréquence, » indique-t-il. « J’étais donc ravi de voir un autre exemple de ce phénomène. »

 

STIMULUS SUPRANORMAL

La femelle hibou ne devrait-elle pas s’apercevoir qu’elle s’occupe des mauvais œufs ? Après tout, les œufs de canard carolin sont non seulement plus oblongs que les œufs de hibou, mais ils sont également deux fois plus gros. 

Artuso précise qu’il est impossible de savoir ce que pense un hibou sauvage, mais que cela pourrait relever de ce que les scientifiques ont nommé stimulus supranormal.

« Les parents pourraient très bien penser : Oh mon Dieu ! Cet œuf est immense ! Le bébé sera en pleine forme ! »

Il est tout de même plus probable qu’en raison de la rareté de ce phénomène, les hiboux n’aient tout simplement pas développé de mécanisme pour s’en défendre.

 

AUTONOME DÈS LA NAISSANCE

En ce qui concerne le caneton de Floride, il est possible qu’il ait survécu, ajoute-t-il.

Les canetons carolins sont précoces, ils sont assez rapidement indépendants. Il existe également de nombreux cas de canetons d’une couvée qui rejoignent ceux d’une autre couvée. (À lire : Le fabuleux destin des canards de National Geographic.)

Et ce, même si c’est un hibou qui les a couvés.

Source – crédit photo: La photographe amateur Laurie Wolf a pris cette photo d’un caneton partageant son nid avec un hibou dans son jardin en Floride, dans la ville de Jupiter.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.