Paris (AFP) – Lentilles, pois chiches et boeuf sans OGM pour tout le monde: face à l’évolution des moeurs alimentaires, l’agriculture française s’apprête à retrousser ses manches pour modifier son modèle et renforcer son autonomie en protéines, tant pour l’alimentation animale que dans les assiettes.

Les protéines, rappelle l’Agence nationale de l’alimentation (Anses), jouent un rôle primordial au niveau musculaire, mais également dans la réponse immunitaire (anticorps), le transport de l’oxygène dans l’organisme (hémoglobine), ou encore la digestion.

Alors que les paysans sont sommés de monter en gamme pour tourner le dos à la crise, la France importe presque la moitié des protéines végétales qu’elle donne à manger à ses animaux d’élevage, notamment bovins, dans lesquelles on retrouve notamment du soja OGM, en provenance des Etats-Unis ou du Brésil.

Une réalité rappelée par Emmanuel Macron, qui a annoncé la construction d’une « vraie filière protéines » dans « les cinq ans à venir », lors de ses voeux aux agriculteurs en janvier.

« L’autonomie française, aujourd’hui, en protéines végétales pour l’alimentation du bétail, elle est de 55% », explique à l’AFP Florence Doat-Matrot, directrice de la marque Terres Oleo Pro, créée pour valoriser les protéines végétales françaises: pois, féveroles, lupins, colza, tournesol, lin, qu’elles entrent dans l’alimentation humaine ou animale.

Ailleurs en Europe, selon les acteurs du secteur, c’est presque deux fois pire, puisqu’on ne produit que 30% des protéines destinées aux animaux d’élevage.

« Sur l’alimentation humaine, on n’est pas très loin d’atteindre l’autonomie », souligne Laurent Rosso, directeur de Terres Univia, interprofession des huiles et protéines végétales.

D’une culture à l’autre, la situation est toutefois très hétérogène: dans le fameux petit salé aux lentilles en conserve, on trouve encore à 80% de la lentille importée du Canada ou de Chine.

Grâce au « triplement » des surfaces de lentilles « depuis quatre ans », la part des importations devrait descendre à « 60% » cette année, estime M. Rosso.

Pour l’alimentation humaine, « la production en France de protéines végétales progresse de 7% par an », confirme Marie-Laure Empinet, du groupe Roquette, membre du groupe Protéines France.

« Là où c’est un peu plus compliqué, c’est sur les protéines à destination de l’alimentation animale », explique M. Rosso. « Si la France voulait ne pas dépendre d’importations, elle devrait ajouter 1 million d’hectares au minimum » aux 2,5 millions d’hectares cultivés actuellement. Le soja français sans OGM destiné notamment à l’alimentation animale croit régulièrement. L’année dernière à 142.000 hectares, il vise les 250.000 hectares en 2025.

Dans leur plan de filière établi dans le cadre des états généraux de l’Alimentation, les cultivateurs se sont engagés à développer « au moins 500.000 hectares supplémentaires » d’ici cinq ans, affichant l’ »ambition » d’une autosuffisance vers 2030.

Mais la filière est en plein doute, et s’inquiète pour le devenir du colza, qui représente plus de la moitié de la production d’oléoprotéagineux en France.

Le modèle économique de cette culture, valorisée en grande partie par le biodiesel, a été sérieusement mis à mal ces derniers mois: ouverture de l’Europe au biodiesel argentin bon marché, mise en service d’une raffinerie Total de La Mède, alimentée notamment à l’huile de palme, sur fond de crise du diesel.

« 80% des débouchés du colza, c’est le biodiesel », explique Emmanuel Leveugle, agriculteur près de Cambrai (Nord): « Si on baisse la quantité d’huile, on baisse la quantité de tourteaux (aliments pour animaux) qu’on va produire », explique-t-il.

D’autres obstacles à la rentabilité de ces cultures préoccupent les paysans: il en va ainsi des bruches, ravageurs redoutables de la famille des coléoptères, qui pullulent depuis l’interdiction de certains insecticides.

« Ce sont ceux qui font le plus de dégâts, parce qu’ils sévissent au moment de la récolte et touchent le produit fini », qui devient invendable selon les cahiers des charges en vigueur et donc nettement moins bien valorisé, explique M. Leveugle.

Des solutions sont toutefois à l’étude.

Le temps presse, selon M. Rosso. Evoquant des accidents climatiques qui ont créé dans le passé des « tensions » conjoncturelles sur le marché de la protéine végétale, il redoute que sa production à l’échelle de la planète devienne structurellement insuffisante.

M. Rosso explique qu’ »il y a de grosses inquiétudes sur la demande chinoise et des pays en voie de développement en général » dont la consommation de viande augmente fortement.

© AFP – crédit photo: champ de colza – pixabay

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