New Delhi (AFP) – La Cour suprême indienne a jugé jeudi que les Indiens bénéficiaient d’un droit constitutionnel à la vie privée, décision cruciale qui pourrait faire date dans les rapports de forces entre l’État indien et ses citoyens.

Cet arrêt découle d’une action en justice contre la gigantesque base de données biométriques (empreintes digitales, iris…) nationale Aadhaar, présentée par le gouvernement comme un outil majeur de développement. Le pouvoir indien soutenait que le droit à la vie privée passe après celui des masses à la santé, à l’eau, aux subventions ou à mener une vie digne.

« Le droit au respect de la vie privée est part intrinsèque de l’article 21 (de la Constitution) qui protège la vie et la liberté », a déclaré un panel de neuf juges dans une décision unanime.

Un tel droit n’était pas sanctuarisé en Inde et le gouvernement de Narendra Modi s’opposait à une telle reconnaissance. Selon lui, elle entrave sa marge de manœuvre en faveur du développement de son pays en limitant ses moyens.

La Cour suprême devait déterminer si la Constitution indienne, vieille de soixante-sept ans, garantit à 1,25 milliard d’Indiens un droit inaliénable à la vie privée – qui n’y est pas mentionné explicitement. Les plaignants estimaient que la charte fondamentale le sous-entendait.

Créée en 2009, Aadhaar compte à ce jour plus de 1,1 milliard d’Indiens dans son registre. Mais ses détracteurs estiment qu’elle pose un potentiel danger aux libertés civiles.

« Aujourd’hui marque une grande victoire pour les citoyens indiens », s’est félicité Prashant Bhushan, avocat des pétitionnaires, à la sortie de la Cour suprême.

La décision de jeudi ne portait que sur la question de constitutionnalité de la vie privée. La Cour suprême va désormais pouvoir reprendre son examen de la légalité d’Aadhaar.

Présentée à l’origine comme fonctionnant sur la base du volontariat et destinée à fournir à tout Indien une pièce d’identité, l’inscription dans Aadhaar est devenue ces dernières années obligatoire pour un nombre croissant de services comme des subventions publiques, le paiement d’impôts ou l’ouverture d’un compte en banque.

Or pour des militants, la centralité grandissante de cette base de données dans la vie de tous les jours constitue une possible violation de la vie privée.

« Si vous avez le même numéro (d’identification) dans chaque base de données, pour les billets pour partir en voyage, le téléphone, la banque, alors n’importe qui au ministère de l’Intérieur ou dans les services de renseignement pourra extraire tous les informations sur moi », expliquait le mois dernier à l’AFP Reetika Khera, professeur d’économie à l’IIT Delhi, critique d’Aadhaar.

Au-delà du cas d’Aadhaar, rapportait jeudi la presse indienne, cette décision pourrait par un mécanisme de dominos rouvrir plusieurs arrêts emblématiques comme le maintien de la pénalisation de l’homosexualité.

Dans une tribune récemment publiée par le quotidien Times of India, deux défenseurs des libertés numériques estimaient que cette décision allait constituer « l’une des décisions juridiques le plus importantes dans le monde cette année ».

« L’Inde, en fonction du résultat du jugement de la Cour suprême, s’apprête à prendre la tête des démocraties reconnaissant et protégeant le droit fondamental de leurs citoyens au respect de la vie privée, ou à tomber du côté des sociétés despotiques qui le détruisent », écrivaient Eben Moglen et Mishi Choudhary.

© AFP – pixabay

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